Depuis son indépendance de la couronne britannique en 1956, le Soudan n’a jamais réussi à garder longtemps un gouvernement civil. Syndrome fréquent en Afrique, les militaires y prennent régulièrement le pouvoir. Ils pensent mieux y réussir que les civils, sous prétexte que l’uniforme qu’ils portent serait un gage de patriotisme, et que la discipline qu’ils professent serait une garantie d’efficacité et d’intégrité.

Une fois au gouvernement, les militaires, dépourvus de connaissances juridiques et économiques, réussissent souvent moins bien que les civils. Mais ils ont du mal à l’admettre et ils s’accrochent au pouvoir le plus longtemps possible, jusqu’à ce que leur incompétence provoque un soulèvement populaire, qui les chasse ou qu’ils écrasent dans le sang.

En juin 1989, le colonel Omar el-Béchir, officier parachutiste formé en Égypte, a 45 ans. Jouissant d’un grand prestige pour avoir participé à la guerre du Kippour (1973) aux côtés des Égyptiens, il est l’un des officiers préférés du gouvernement de coalition du premier ministre civil Sadeq al-Mahdi (l’arrière-petit-fils du Mahdi qui, en 1885, chassa provisoirement les Anglais de Khartoum et tua le général Gordon).

On lui a confié la responsabilité des opérations militaires contre l’Armée populaire de libération du Soudan du chrétien John Garang. Ses progrès sont lents. Mais au lieu de poursuivre sa guerre jusqu’à la victoire, il choisit de renverser, avec l’aide d’un groupe d’officiers, l’instable gouvernement de coalition à Khartoum. Il est un peu comme Bonaparte qui, incapable de battre les Anglais à Aboukir et à Saint-Jean-d’Acre, fait le choix de revenir en France pour renverser le Directoire.

Sous l’emprise de l’intellectuel islamiste Hassan el-Tourabi (qui fut le maître de l’exilé saoudien Oussama Ben Laden), Omar el-Béchir introduit un nouveau code légal islamique, ce qui va envenimer encore plus les relations de Khartoum avec le sud chrétien du pays. Mais pragmatique en relations internationales, il donne le terroriste Carlos à la DST française et il fait la même offre aux États-Unis pour le milliardaire saoudien islamiste réfugié chez lui.

Cette offre est déclinée par la CIA à la fin de l’année 1995, car les juristes américains n’ont à l’époque aucun motif juridique sérieux pour inculper Ben Laden, qui limite ses activités publiques à des diatribes antiaméricaines.

À l’exemple de Moubarak en Égypte, Béchir va progressivement donner un aspect civil à son gouvernement et se faire élire et réélire président, sans évidemment donner la moindre possibilité à une opposition civile de se structurer. En 2019, un mouvement populaire de mécontentement d’une ampleur inouïe oblige les militaires à le lâcher.

En effet, appelée à réprimer les manifestants, la milice supplétive des RSF (Rapid Support Forces), commandée par le général Hamdan Dagalo, dit Hemetti, a refusé de tirer sur la foule et s’est interposée entre elle et les militaires.

Les RSF sont à l’origine une milice Janjawid mise en cause pour des crimes de guerre au Darfour (immense région du sud-ouest du pays), à qui le président Béchir et le gouverneur du Darfour, le général al-Burhan, a confié le pouvoir sécuritaire. Les RSF reçoivent ensuite la mission de sécuriser toutes les frontières de ce pays grand comme plus de trois fois la France et peuplé de 45 millions d’habitants.

Ne pouvant rémunérer les paramilitaires des RSF, le gouvernement de Béchir confie à Hemetti la gestion des mines d’or du Soudan. L’extraction est confiée à des compagnies internationales et l’or est acheminé à Dubaï, pour y être vendu.

À partir de 2016, Hemetti envoie ses hommes combattre au Yémen pour le compte des Émiratis. Il est aujourd’hui encore très proche du gouvernement d’Abu Dhabi.

Après la révolution, le conseil militaire de transition à Khartoum a laissé en place pendant deux ans le gouvernement civil d’Abdallah Hamdok. Mais le général Burhan, chef de l’armée régulière, proche des islamistes, fait un coup d’État militaire à la fin de l’année 2021. Il promet de préparer le retour à un gouvernement civil. Mais il ne fait rien en ce sens et se rapproche de Wagner, que Béchir avait fait venir pour entraîner l’armée régulière.

Seul Hemetti, qui a refusé de donner Port-Soudan à Wagner, demande le retour à un pouvoir civil. Burhan se brouille alors définitivement avec son ancien protégé, ambitionnant d’absorber les RSF sous le contrôle de l’armée régulière. Un conflit armé éclate entre les deux le 15 avril 2023. Les RSF prennent Khartoum ; Burhan fait bombarder la capitale par son aviation.

Sur son compte Twitter, Hemetti assure la communauté internationale de sa volonté de faire juger Burhan, de lutter contre l’islamisme, d’apporter démocratie et État de droit au Soudan. Les Américains parlent avec Hemetti. Ils ont raison, car l’important est de ne pas abandonner les Soudanais à leur sort.

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