Le 24 février 2022, la Russie de Vladimir Poutine s’est lancée dans une guerre d’invasion, afin de soumettre l’Ukraine à ses vues. Cette guerre ne s’est pas déroulée comme le président russe l’avait imaginé. L’armée ukrainienne a résisté avec une vaillance que Poutine n’avait pas anticipée, tandis que l’armée russe montrait au monde entier sa désorganisation, son indiscipline. Les Russes n’ont pas réussi une seule avancée significative depuis le mois de mars 2022.
Les Ukrainiens, équipés et renseignés par les Occidentaux, se révélant imbattables sur le terrain, Poutine a alors lancé une deuxième guerre, cette fois idéologique, médiatique et diplomatique. Elle est dirigée contre ce qu’il appelle l’« Occident collectif ».
Comme l’armée russe ne l’emporte pas, comme Vladimir Poutine n’atteint pas le but affiché de son « opération militaire spéciale » (la « dénazification » du gouvernement de Kiev, c’est-à-dire un changement de régime), on peut dire qu’il est en train de perdre sa première guerre.
En revanche, comme il ne recule pas dans sa bataille idéologique contre l’Occident collectif, comme il multiplie les soutiens en Afrique, en Amérique latine, en Asie, on peut dire qu’il est en train de gagner sa seconde guerre : l’Occident est à fond avec l’Ukraine, mais le reste du monde s’abstient de condamner la Russie, quand il ne souhaite pas secrètement sa victoire. Comment expliquer que la première guerre de Vladimir Poutine le conduise à une semi-défaite et sa seconde à une semi-victoire ?
Sur le front russo-ukrainien, l’initiative et l’imagination, sont beaucoup plus présentes chez les Ukrainiens que chez les Russes. Tout se passe comme si ceux-ci continuaient à penser avec leurs schémas soviétiques alors que ceux-là s’en étaient libérés. Les généraux français sont bluffés par l’esprit créatif dont font preuve les Ukrainiens dans la défense de leur pays, à l’arrière comme sur le front.
Le succès de la résistance ukrainienne est d’autant plus surprenant que la gouvernance du pays, depuis son indépendance en 1991, n’avait pas vraiment impressionné les observateurs occidentaux : pas de justice indépendante, beaucoup de corruption dans l’administration, une poignée d’oligarques faisant la pluie et le beau temps dans la vie politique.
Désunis et peu efficaces dans la gestion de leur pays en temps de paix, les Ukrainiens se sont réveillés lorsque les Russes ont cherché à les priver de liberté. On ne compte plus en Ukraine, tant ils sont nombreux, les exemples de dévouement désintéressé, au combat, comme dans la vie civile.
Un tel altruisme ne se retrouve pas du côté russe. Les soldats, mobilisés de manière obligatoire, sont beaucoup plus résignés qu’enthousiastes. Sinon, pourquoi la Douma aurait-elle eu besoin d’aggraver les sanctions contre les déserteurs et les réfractaires ? Un jeune homme ukrainien se rend au front mû par un devoir sacré, tandis qu’un jeune Russe y va parce que la loi ne lui donne pas d’autre option.
Prigogine, le patron de Wagner, a déclaré que la Russie avait atteint suffisamment ses objectifs, qu’il lui fallait épargner sa jeunesse et qu’elle devait désormais se contenter de conserver les 15 % de territoire ukrainien qu’elle a pris (principalement le rivage de la mer d’Azov, qui permet de sécuriser la Crimée).
Il est vraisemblable que le chef des paramilitaires russes soit en phase avec le Kremlin. La Russie, qui a fortifié ses 800 km de front, parviendra-t-elle à empêcher une large percée par les brigades blindées ukrainiennes équipées de neuf, et donc une vraie défaite militaire ? On n’aura pas la réponse avant la fin de l’été.
Le problème des Occidentaux est qu’ils usent à l’égard du reste du monde du même moyen que le Kremlin à l’égard des jeunes Russes sceptiques quant à la guerre : celui de la menace de sévères sanctions. Réunis dans les Alpes japonaises, les ministres des Affaires étrangères du G7 ont promis, le 18 avril 2023, de faire payer « le prix fort » aux pays qui continueraient à commercer normalement avec la Russie.
Tenu par un groupe représentant 10 % de la population mondiale, ce langage ne passe plus auprès du reste. Des peuples aussi divers que les Brésiliens, les Chinois, les Indiens, les Saoudiens, les Sud-Africains ne supportent plus cette manière de parler et l’arrogance des sanctions occidentales contre les peuples. Les sanctions très ciblées sont encore acceptées, mais les sanctions générales ne passent plus.
En maintenant ses sanctions générales contre les Cubains, les Iraniens, les Syriens, les Birmans, les Afghans, etc., l’Occident n’a jamais réussi à infléchir les régimes. Mais il a injustement puni les populations civiles, estime l’opinion mondiale. De cette impéritie occidentale, Poutine parvient, hélas, à faire son miel, et donc à ne pas perdre sa seconde guerre.