A la surprise générale, le président de Russie annonça, dans son discours sur l’état de la nation du 15 janvier 2020, des changements constitutionnels significatifs, qui feront bientôt l’objet d’un référendum.
Les pouvoirs de la Douma seront accrus, ceux du Président seront diminués. C’est elle qui nommera les ministres, y compris le Premier. Le Conseil de la Fédération (l’équivalent du Bundesrat allemand) aura davantage de responsabilités. Les dispositions de la constitution russe l’emporteront sur celles du droit international. Ne pourra pas se présenter à l’élection présidentielle tout citoyen n’ayant pas passé les vingt-cinq années précédentes en Russie, ou ayant détenu un passeport étranger, voire une carte de séjour.
Juste après ces annonces, Dmitri Medvedev démissionna de son poste de premier ministre, pour être immédiatement nommé vice-président du Conseil national de sécurité (présidé par Vladimir Poutine). Le président nomma aussitôt le terne mais efficace directeur général des impôts au poste de premier ministre.
A court terme, ces changements devraient procurer à Poutine un emploi du temps confortable à partir de 2024, quand s’achèvera son mandat présidentiel. Ne reposeront plus sur lui les gestions économique et sociale d’un pays de 147 millions d’habitants, répartis sur 17 millions de km2. En sa qualité de président du conseil national de sécurité, il ne s’occupera plus que de ce qu’il aime : la défense et les relations internationales. Comme son ami chinois Xi Jinping, il restera à vie le dirigeant de référence de son pays.
Plus en profondeur, ces changements portent la marque de la nouvelle idéologie de Poutine, qui ambitionne de rester, dans l’Histoire contemporaine russe, au même rang que la Grande Catherine, Alexandre Ier, Alexandre II, Staline – des tsars qui laissèrent à leur mort une Russie plus puissante qu’ils ne l’avaient trouvée.
Trois caractéristiques dessinent l’homme politique Poutine : nationaliste, conservateur, déçu par l’Occident. Le nationalisme a poussé le maître du Kremlin depuis vingt ans à rendre à la Russie une influence dans le monde que Gorbatchev puis Eltsine lui avaient fait perdre. Au Moyen-Orient, il est, de loin, le leader étranger le plus respecté. Quand il organise un sommet Russie-Afrique à Sotchi, ce sont plus de quarante chefs d’Etat africains qui accourent. Il ose parfois défier l’Amérique frontalement – comme il l’a fait en Ukraine et en Syrie -, alors que son prédécesseur avait soumis l’agenda de la Russie aux décideurs de Washington.
Le conservatisme de l’ex-officier du KGB Poutine l’a poussé à toujours refusé l’aventure, qu’elle soit intérieure ou extérieure. Son caractère lui fait toujours préférer l’évolution à la révolution. En politique intérieure, il n’a pas fusillé les oligarques-voleurs ; il s’est contenté de les soumettre. En politique extérieure, il a annexé la Crimée et pénétré dans le Donbass, mais refusé de s’emparer d’Odessa à l’été 2014, quand bien même l’y poussèrent les théoriciens extrémistes de la Nouvelle-Russie. La seule expédition militaire lointaine qu’il ait entreprise fut la Syrie, à partir de septembre 2015. Son but était d’empêcher Damas de tomber aux mains des djihadistes, et il a réussi. En Asie centrale, il affiche sa solidarité avec toutes les anciennes républiques soviétiques qui combattent l’islamisme. Sur le front du Pacifique, il a conclu une alliance stratégique avec la Chine.
Intrinsèquement, Poutine n’est pas un anti-occidental. Il admire Pierre le Grand, qui étudia à Amsterdam et qui convertit son pays aux mœurs occidentales. Il maîtrise bien la culture allemande. En février 2000, il demanda au ministre français Védrine, en visite à Moscou, de l’aider à importer le droit européen en Russie.
Mais le président russe est profondément un déçu de l’Occident. Il reproche à l’Amérique de ne pas avoir tenu ses promesses de 1990 de ne jamais étendre l’Otan jusqu’aux frontières de la Russie.
Psychologiquement, Poutine est un conservateur qui se méfie des idées révolutionnaires, que les Russes aiment importer d’Occident. Il n’a aucune admiration pour le bolchevisme de 1917, dont il rejette l’athéisme et l’inefficacité économique. Il déteste l’idéologie ultra-libérale et monétariste des Harvard boys de 1991, qui ont si mal privatisé l’industrie russe. Aujourd’hui, il refuse deux types d’idées venues d’Occident, révolutionnant le droit civil et le droit international : la théorie du genre et le devoir d’ingérence. Il n’admire plus l’Europe, qu’il juge moralement décadente, antichrétienne, rongée par une immigration islamiste, et diplomatiquement soumise à l’Amérique. Il respecte les nations fortes et sûres d’elles-mêmes telles que les Etats-Unis de Trump, la Chine de Xi, l’Inde de Modi, l’Israël de Netanyahou.
Mais son économie restera faible et dépourvue d’investisseurs tant qu’il ne construira pas chez lui un Etat de droit…