U.S. Army paratroopers of an immediate reaction force from the 82nd Airborne Division leave Fort Bragg
Crédits photo : JONATHAN DRAKE, JONATHAN DRAKE/ REUTERS

En mars 2003, les Etats-Unis décidèrent d’envahir militairement l’Irak. Pour cela, ils durent violer la Charte des Nations Unies, dont ils avaient été, en 1945, les principaux concepteurs. Au premier rang des justifications de leur action unilatérale, les Américains avancèrent leur volonté d’établir une démocratie solide dans ce pays, peuplé à 55% de Chiites, à 25% de Sunnites et à 20% de Kurdes. L’idée n’était pas seulement de transformer l’Irak en allié fiable de Washington. Le projet plus général était que la démocratie se répandrait ensuite, comme par contagion, à toute la région et qu’on aboutirait à moyen terme à ce que le président George W. Bush appela le « Grand Moyen-Orient démocratique ».

Selon le principe kantien que les nations démocratiques ne se font pas la guerre entre elles, les Américains comptaient obtenir, à la fin, que toutes les nations de la région fassent définitivement la paix avec Israël.

Pour réussir ce projet grandiose, la Maison Blanche et le Congrès ne lésinèrent pas. Depuis 2003, la politique irakienne de Washington aura coûté plus de mille milliards de dollars au contribuable américain. Soit l’équivalent de 75 fois le PIB annuel d’un pays comme Madagascar. Le prix du sang aura été également important : quatre mille soldats américains tués et des dizaines de milliers de blessés, dont certains très gravement.

Dix-sept années plus tard, force est de constater que le résultat n’est pas éblouissant. Le 5 janvier 2020, le Parlement irakien – créé par une Constitution dictée par les juristes américains et adopté dans un référendum de 2005 supervisé par les forces américaines – a voté une résolution exigeant le départ des 5200 soldats américains stationnés dans le pays. Du côté de Washington, le Département d’Etat a appelé tous les citoyens américains résidant en Irak à quitter immédiatement le pays. Le président Trump a menacé l’Irak de sanctions commerciales « encore pires que celles imposées à l’Iran », au cas où le gouvernement de Bagdad mettrait à exécution le vœu parlementaire. Il semble qu’on aille tout droit vers un divorce entre Washington et Bagdad.

Les parlementaires irakiens se sont sentis humiliés par la décision unilatérale du Pentagone d’assassiner une personnalité étrangère invitée en Irak. Tué par un missile américain sur l’aéroport de Bagdad le vendredi 3 janvier 2020, le général iranien Ghassem Soleimani, réel numéro 2 du régime des mollahs, devait être reçu par le premier ministre irakien. Adel Abdel Mahdi, intermédiaire entre les Saoudiens et les Iraniens, attendait sa réponse à un message envoyé par Riad.

A coup sûr, Soleimani était un adversaire stratégique des Etats-Unis au Moyen-Orient. En tant que chef des forces extérieures iraniennes, il a joué un rôle considérable dans la prise de contrôle politico-militaire de quatre capitales arabes par la Perse : Beyrouth, Bagdad, Damas, Sanaa. C’est lui qui alla voir Poutine à Moscou en juin 2015 et qui réussit à le convaincre d’envoyer l’armée russe au secours du régime syrien baasiste de Bachar al-Assad. C’est lui qui parvint à armer les Houthis du Yémen, leur permettant de répliquer durement aux bombardements aériens de Sanaa, menés par l’Arabie saoudite depuis 2015. C’est lui qui, très probablement, était derrière les manifestants ayant pénétré dans l’ambassade des Etats-Unis à Bagdad (sans parvenir à atteindre ses diplomates) le 31 décembre 2019.

Etait-il pour autant nécessaire d’humilier les autorités irakiennes élues ? Trump ne peut-il pas comprendre que même les nations les plus faibles restent attachées à leur dignité, à leur souveraineté ? N’aurait-il pas été plus intelligent pour les Américains de négocier secrètement avec Soleimani ? Ne négocient-ils pas, au Qatar, avec les talibans afghans ? Jouissant de la confiance du guide suprême iranien, ce général pragmatique avait l’avantage de pouvoir faire des deals sécuritaires et de s’assurer de leur respect. De surcroît, il avait remarquablement combattu les sunnites de l’Etat islamique, ennemis de l’Amérique.

Contrairement à ce qu’a dit le Secrétaire d’Etat américain Mike Pompeo, l’assassinat de Soleimani n’a pas rendu la planète moins dangereuse pour les Américains. Au contraire. Ce général a déjà été remplacé. Mais son assassinat a enflammé l’opinion publique en Iran, y déstabilisant la mouvance réformiste pro-occidentale. Le régime a repris son programme nucléaire.

Quel gâchis commis par Trump en l’espace de trois ans ! En juillet 2015, on était tout près d’une réconciliation irano-américaine, après la signature de l’accord nucléaire de Vienne. Aujourd’hui, Washington et Téhéran sont au bord de la guerre. Quant à l’Irak, il court vers une catastrophe stratégique, avec son sud chiite livré à l’Iran et son nord-ouest sunnite abandonné à un Etat islamique, toujours prêt à resurgir.

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