
En recevant à Brégançon en tête-à-tête Vladimir Poutine le 19 août 2019, en réhabilitant le réalisme diplomatique lors de son discours à la Conférence des Ambassadeurs du 27 août, en relançant les négociations au sommet sur l’Ukraine, Emmanuel Macron a clairement imprimé un nouveau tournant à la politique russe de la France.
Contrairement à ce que pensent les membres de la petite « Secte » néoconservatrice, peu nombreuse mais très influente au Quai d’Orsay, le président de la République française estime qu’il est plus important de dialoguer avec la Russie que de tenter de l’isoler. Donald Trump pense la même chose, mais il est freiné dans ses efforts par le Congrès et par certains grands médias américains, qui l’accusent, depuis son élection à la Maison Blanche, d’être une sorte d’agent qu’aurait jadis recruté le Kremlin. Les présidents français et américain souhaiteraient que le G-7 puisse à nouveau accueillir la Russie et que soient allégées, sinon supprimées, les sanctions commerciales prises contre elle en 2014 par l’Union européenne (UE) et les Etats-Unis. Les deux leaders ont compris qu’ils commettraient une erreur stratégique grave à jeter les Russes dans les bras de la Chine.
Mais le Kremlin est-il prêt à saisir la main que lui a tendue Emmanuel Macron ? Le lundi 9 septembre, aura lieu à Moscou le premier sommet 2-2 (ministres des affaires étrangères et de la défense) entre la France et la Russie depuis la crise ukrainienne de 2014. Marquera-t-il une inflexion russe, davantage pro-européenne ? Poutine confirmera-t-il, à cette occasion, sa réponse positive à Macron, qui souhaite réunir à Paris, d’ici la fin du mois, un sommet en format « Normandie » (réunissant, depuis qu’il fut inventé par François Hollande le 6 juin 2014, les leaders de la Russie, de l’Ukraine, de l’Allemagne et de la France) ? Le maître du Kremlin s’y présentera-t-il prêt à faire des concessions ?
Ne nous faisons aucune illusion. La Russie ne rendra jamais la Crimée, péninsule annexée en mars 2014 après référendum populaire (mais sans accord de l’Ukraine), sans que le sang ait été versé. Dans leur grande majorité, les habitants de Crimée se sentaient plus russes qu’ukrainiens. Quant à la population de la Russie, elle a toujours considéré que Sébastopol était un port russe ; en mars 2014, elle a soutenu le refus de Poutine de prendre le risque de voir le port attribué aux marines de guerre de l’Otan par le nouveau régime ukrainien issu de la Révolution de Maïdan. La Russie a construit un immense pont enjambant le détroit de Kerch à l’extrémité Est de la péninsule, afin de créer une continuité territoriale avec la Crimée.
Mais l’élection de Vladimir Zelensky à la présidence de l’Ukraine et la majorité absolue qu’il vient de gagner à la Rada (le parlement monocaméral de Kiev) crée une fenêtre d’opportunité pour régler le conflit du Donbass (plus de 10000 morts entre frères slaves russes et ukrainiens depuis l’été 2014, selon l’ONU). Ayant placé la paix avec la Russie en tête de son agenda politique, Zelensky dispose d’une autorité suffisante pour faire des concessions.
Pour ses protégés du Donbass (rebelles russophones hostiles au nouveau pouvoir ukrainien), qu’il a sauvés militairement à deux reprises (été 2014, janvier 2015), Poutine devra au minimum obtenir de Kiev une loi d’amnistie et une loi garantissant l’autonomie culturelle de la région (qui souhaite que le russe reste sa langue officielle). Mais saura-t-il renoncer à l’autonomie politique, que Zelensky ne pourra raisonnablement jamais accorder au Donbass ? Fera-t-il un geste pour autoriser les navires ukrainiens à traverser librement le détroit de Kertch, afin d’alimenter leur port de Marioupol?
Ce sont des concessions qui ne lui coûteraient pas très cher et qui pourraient améliorer très sensiblement ses relations avec l’UE. Poutine sait que les Chinois sont très durs en affaire, qu’ils lui enlèvent son pétrole avec un rabais de 20%, sous prétexte de leur « amitié ». Il sent qu’ils ont un appétit secret pour la Sibérie. La Russie ne sera jamais à l’aise avec la Chine, alors qu’elle peut parfaitement s’intégrer à l’Europe. Les jeunes élites de Moscou ne rêvent que de cela. Elles y sont prêtes culturellement.
Au moment où la jeunesse russe se réveille, où elle manifeste son désir de participer à la décision politique, où elle rejette le gouvernement arbitraire des silovikis (les fonctionnaires des ministères de force), Poutine doit faire un choix.
En politique intérieure, veut-il évoluer vers le modèle totalitaire chinois ou, au contraire, construire chez lui un Etat de droit ? Ses références et ses amis, veut-il les chercher à Pékin, ou à Paris et à Berlin ? Gouverner, c’est choisir. Le moment est venu pour Poutine de choisir !