
Pour la première fois dans l’Histoire des hommes, un pape s’est rendu sur la péninsule arabique, sanctuaire de l’islam depuis le 7ème siècle après Jésus-Christ.
Arrivé à Abu Dhabi le dimanche 3 février 2019, le souverain pontife a été accueilli par le prince héritier Mohammed bin Zayed al-Nahyan (MBZ), qui gouverne les Emirats arabes unis depuis l’AVC de son demi-frère l’émir en 2014. Au programme de Francis : une messe pour les centaines de milliers de Philippins et Indiens chrétiens vivant aux Emirats, mais aussi une grande conférence interconfessionnelle et une rencontre avec le Cheikh Ahmed al-Tayeb, grand imam de la mosquée cairote d’al-Azhar, l’institution la plus éminente de l’enseignement de l’islam sunnite.
Dans un message vidéo publié le 31 janvier, le chef de l’Eglise catholique avait déclaré : « La Foi en Dieu nous unit plutôt qu’elle nous divise ; elle nous rapproche, en dépit des différences [qui existent entre religions] ; elle éloigne de nous la haine et le conflit ». Le Pape y avait également rendu hommage aux Emirats, « une terre qui s’efforce de devenir un modèle de coexistence, de fraternité humaine, et un lieu de rencontre entre différentes civilisations et cultures ».
A la première place du combat idéologique contre les Frères musulmans (mouvement islamiste né en Egypte en 1928 en réaction à la « corruption » des mœurs occidentales) ; les Emirats prétendent vouloir la liberté de religion sur leur territoire. Pourquoi ne pas les prendre au mot ? Le jésuite argentin Bergoglio et le prince bédouin al-Nahyan semblent partager une même intuition : la paix est fille de la tolérance, laquelle est fille de la connaissance. Parler avec l’autre de sa religion, afin de la mieux connaître : voilà la clef d’un monde arabo-musulman apaisé.
Le dialogue interconfessionnel est devenu aujourd’hui un instrument clef pour éviter que le clash des civilisations (décrit il y a 25 ans par Huntington) ne se transforme en guerre des civilisations.
Le pape a dit quelque chose de fondamental quand il a affirmé que la foi – en général – rapprochait les hommes plutôt qu’elle ne les divisait. Dans le terme « foi », le Saint Père englobe cinq concepts différents mais complémentaires : la volonté et l’effort d’adhésion au mystère divin, la prière, l’introspection intérieure, l’étude, la dialectique avec son prochain. Ces qualités se retrouvent dans les trois religions monothéistes, chez les grands rabbins du judaïsme, chez les pères de l’Eglise, chez les maîtres du soufisme. Bref, le pape nous a rappelé que l’homme qui cultive une riche vie intérieure ne se laisse pas facilement happé par la haine de l’autre.
Aux 16ème et 17ème siècles, juste après le magnifique élan que constitua l’humanisme de la Renaissance, la Chrétienté fut entraînée dans d’abominables guerres de religion, où les chrétiens, qu’ils fussent catholiques ou protestants, se comportèrent davantage en hommes de doctrines qu’en hommes de foi.
Aujourd’hui, c’est le monde musulman qui est devenu la proie des intolérances doctrinales. Le grand philosophe tunisien Youssef Seddik m’a un jour expliqué la différence qu’il y avait entre un bon musulman et un Frère musulman : « Le bon musulman, c’est celui qui se préoccupe sans arrêt de la relation qu’il entretient avec Dieu ; le Frère musulman, c’est celui qui se préoccupe sans arrêt de la relation qu’entretiennent ses voisins avec Dieu ! ». Les Frères musulmans et autres islamistes voient la religion comme un embrigadement, alors qu’elle est avant tout une quête intérieure.
En faisant par la force comparaître Jésus devant lui, le Sanhédrin de Jérusalem, jaloux du succès populaire du Nazaréen, n’a pas honoré le judaïsme. Ses membres n’ont pas fait acte de foi, mais d’intolérance doctrinale. Même intolérance, quinze siècles plus tard, chez les Inquisiteurs poursuivant les marranes d’Espagne. Depuis Jean XXIII, la relation judéo-chrétienne est heureusement passée de la méfiance à l’enrichissement réciproque. Il reste à l’islam à construire une relation apaisée – excluant toute dhimmitude – avec le judaïsme et le christianisme. C’est un mouvement qu’appelait de ses vœux le grand cheikh d’Al Azhar Mohamed Abdou à la fin du XIXème siècle. Le siècle suivant fut hélas celui de deux profondes régressions en islam : le mouvement des Frères musulmans, puis le wahhabisme pétrolier.
Le pape l’a compris : le monde méditerranéen, le Moyen-Orient et l’Asie ne retrouveront pas une paix durable tant que leurs ministres de l’Education n’auront pas institué un catéchisme réciproque, où les jeunes juifs, chrétiens et musulmans soient systématiquement initiés à la foi de l’autre. Car l’on ne hait pas ce que l’on connaît en profondeur.