
La Russie, la Chine et la Turquie sont sorties du bois pour défendre le régime indéfendable de Nicolas Maduro. Ces trois pays ont une caractéristique commune : ils ne rechignent pas à jeter des avocats en prison.
Le 28 janvier 2019, dans un procès express à huis clos, un tribunal de Tianjin (ville portuaire à 200 kms au sud-est de Pékin) a condamné l’avocat Wang Quanzhang à quatre ans et demi de prison. Son crime ? Avoir défendu en justice des citoyens victimes de saisies foncières arbitraires et des adeptes du Falun Gong. Ce mouvement de gymnastique spirituelle traditionnelle chinoise fut banni pendant la Révolution culturelle. Réapparu en Chine en 1992, il devint très populaire et compta bientôt 70 millions d’adeptes. Après que le Parti communiste chinois eut échoué à le récupérer, le Falun Gong fut interdit en 1999.
En Turquie, des dizaines d’avocats sont emprisonnés ou poursuivis pour avoir défendu des victimes de l’Etat d’urgence décrété en juillet 2016 par le président Frère musulman Erdogan.
En Russie, l’avocat Sergueï Magnitsky a été jeté en prison (où il est mort faute de soins médicaux en 2009) pour avoir défendu un client américain victime d’une spoliation policière.
Ce qui est curieux avec ces trois pays, c’est qu’ils n’assument pas leur autoritarisme jusqu’au bout. Ils n’osent pas totalement jeter aux orties le principe de séparation des Pouvoirs. Ils pourraient en effet se contenter d’oukases policiers pour enfermer ou dépouiller leurs victimes. Non, ils organisent quand même parfois des procès. Comme s’il était indispensable pour eux de singer l’Etat de droit. Comme si, dans leurs fors intérieurs, ils savaient que la pensée de Montesquieu (1689-1755) était indépassable en matière d’institutions politiques. On ne singe pas ce que l’on ne respecte pas quelque part dans son subconscient.
Forts de leurs réussites économiques ou guerrières, les dirigeants de la Chine, de la Russie et de la Turquie affichent leur mépris pour la démocratie et l’Etat de droit à l’occidental. Mais ils ne parviennent pas à cacher que ces concepts demeurent mentalement leurs référents politiques.
Le cas du Venezuela, ruiné et déchiré par un régime ubuesque, offre une occasion unique aux pays défenseurs de l’Etat de droit de resouder leur unité face au front informel grandissant des dictatures et démocratures (pays où les vainqueurs du suffrage universel estiment que leur victoire les dispense d’appliquer les règles de l’Etat de droit). En tant qu’institution, l’Union européenne serait bien avisée de rejoindre les Etats-Unis, l’Espagne et les voisins latino-américains du Venezuela dans leur reconnaissance du président par interim Juan Guaido comme seule autorité légitime à Caracas. Maduro a toujours l’option d’organiser des élections vraiment libres. Il verra ce que son peuple lui répondra dans les urnes.
Depuis le début du millénaire, l’unité des Occidentaux a été mise à mal par les Etats-Unis, qui ont créé trois monstres : le néo-conservatisme, l’extra-territorialisation du droit américain, l’unilatéralisme. Les néo-conservateurs américains ont voulu imposer la démocratie à l’Irak par une invasion militaire en 2003 ; faute d’administrateurs compétents, ils n’y ont produit que du chaos ; déçus par leur échec, pris d’impatience, ils s’en sont retirés en 2010, abandonnant à son sort un pays profondément déstabilisé. Du fait de leur incompétence, ils ont sérieusement écorné le prestige dont jouissait encore le principe de démocratie sur la planète.
L’extra-territorialisation du droit américain participe de la même arrogance contreproductive. Dans la société internationale moderne (incarnée par l’Onu, créée en 1945 à l’initiative de l’Amérique rooseveltienne), aucun pays ne peut se prétendre intrinsèquement supérieur aux autres. Dans les années 60, les Etats-Unis ont parfois été agacés par de Gaulle. Mais ils respectaient pleinement la souveraineté des lois françaises en France. Ce n’est plus le cas aujourd’hui, dans la banque ou dans l’industrie.
L’unilatéralisme est le grand péché de Trump. En se retirant, en janvier 2017, du traité transpacifique d’Auckland, il a détruit l’instrument qui allait forcer la Chine à l’honnêteté commerciale, et à l’adoption de normes occidentales privilégiant le consommateur sur le producteur.
Si Xi, Poutine et Erdogan ne sont pas nos amis, ils ne sont pas non plus nos ennemis. Il faut leur parler. Persuader la Chine de respecter la propriété intellectuelle, la Russie de revenir dans la famille européenne, la Turquie de lâcher l’islamisme internationaliste. Mais pour mieux convaincre, pour préserver la paix du monde, il nous faut agir ensemble. Car nous, Occidentaux, savons que les Etats de droit se font beaucoup moins facilement la guerre que les dictatures.