Après la seconde guerre mondiale et son cortège d’atrocités inédites, les grandes puissances ont toutes proclamé que la poursuite du « bien commun » de l’humanité constituait désormais le fondement de leur politique étrangère. Elles l’ont fait en signant la Charte des Nations Unies, mais aussi dans des déclarations particulières. Tout s’est passé comme si elles avaient inconsciemment voulu intégrer à l’ordre international, ce que le dominicain Thomas d’Aquin avait prescrit pour l’ordre politique à la fin du 13ème siècle, et le pape Léon XIII pour l’ordre social à la fin du XIXème siècle.

Cet impératif de construire le bien commun du monde irrigue aussi bien le discours de George Marshall à Harvard en 1947 que les Résolutions du Kominform de 1949. La guerre froide, c’est-à-dire la grande course à l’influence mondiale que se font les empires américain et russe, se déroule sous l’étendard « vertueux » de l’aide aux nations faibles et pauvres. Même s’il y a toujours de l’hypocrisie, le développement et la paix dans le monde sont proclamés comme buts diplomatiques premiers, aussi bien à Moscou qu’à Washington.

Lorsque les vingt-neuf participants « non-alignés » de la Conférence de Bandung (1955) – où se distinguent Nehru, Sukarno, Nasser, Tito, Nkrumah et Chou-en-Laï – rejettent la logique des deux blocs, ils le font eux aussi au nom du bien commun de l’humanité. Lequel est, à leurs yeux, servi par la liberté des peuples et la stricte égalité entre toutes les nations.

En 1965, lorsqu’il a réussi à redonner son indépendance à la politique étrangère de Paris, le général de Gaulle rappelle, dans une conférence de presse du mois de septembre restée célèbre, que la France a recouvré une vocation mondiale, et que le but ultime de sa diplomatie est de concourir à « la mise en valeur de la Terre tout entière ».

Après la fin de la guerre froide, l’hyperpuissance américaine cherche à entraîner derrière elle toutes les autres nations pour bâtir un « nouvel ordre mondial ». C’est l’expression utilisée par le président George H Bush devant le Congrès en septembre 1990, peu après l’invasion du Koweït par l’Irak. Pour favoriser la paix dans le monde, les Etats-Unis préconisent le respect du droit international -incarné par l’ONU -, et le libre-échangisme économique – incarné par l’OMC. Dans ces années 1990, l’Europe, la Chine, l’Inde et la Russie ne marquent pas le moindre désaccord avec eux. Quand l’Assemblée générale de l’Onu proclame que 2000 sera l’«année internationale de la culture de la paix», les grandes puissances ont toutes le sentiment sincère d’y concourir.

Lorsque George W Bush arrive à la Maison Blanche en janvier 2001, il ne s’entoure pas comme son père de réalistes metternichiens, mais de néo-conservateurs idéalistes. En disciples auto-proclamés de Leo Strauss, ces derniers exècrent la violence et le nihilisme à l’œuvre dans les dictatures orientales contemporaines, et veulent faire prévaloir partout le règne de nos vieux bons principes démocratiques. Mais aveuglés par leur idéologie, ils prétendent, tels les marxistes qu’ils avaient naguère combattus, faire table rase du passé : ils s’affranchissent du droit international et détruisent le système onusien qu’avait réhabilité le père Bush. Ils envahissent l’Irak en mars 2003, sans autorisation du Conseil de sécurité.

Les conséquences du fiasco irakien dépasseront largement le cadre de la Mésopotamie. Pour avoir bafoué le droit des gens puis échoué sur le terrain, pour avoir pavé l’enfer de leurs bonnes intentions, les néo-conservateurs deviendront inaudibles à travers la planète. Ce sont ces universalistes qui ont, sans le vouloir, tué l’universalisme.

Depuis, les Etats-Unis, traumatisés, se sont progressivement retirés du monde, passant du « leading from behind » d’Obama, à l’«America first» de Trump.

Stupéfiés par le viol de l’Onu de 2003, les Russes ont ensuite pris leurs propres libertés avec le droit international, en Géorgie en 2008, en Ukraine en 2014. La Russie est désormais repliée sur une anachronique stratégie d’influence bottée sur les marches de son ancien empire, qui n’existe plus.

Quant à l’esprit de Bandung, il s’est évaporé. La Chine, dotée d’un nouvel empereur, ne songe qu’à renforcer ses routes commerciales, marchant sur les pieds de ses voisins, ignorant l’esprit des accords de l’OMC. L’Inde, gagnée par le consumérisme et le productivisme, a renoncé à propager le gandhisme. Le panarabisme est mort et la Yougoslavie a disparu.

Même en Europe, nous sommes passés à l’ère du chacun pour soi. La Grèce de Papandréou méritait-elle vraiment une purge aussi violente ? Qu’aurait coûté à l’Allemagne de lui tendre une main plus charitable ?

Dans les relations internationales, le principe de la poursuite du bien commun n’a jamais été une garantie de paix. Mais, ne l’oublions pas, il s’en rapproche bien davantage que le repli du chacun pour soi.

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