Comme la forme laissait franchement à désirer, nous avons cru qu’il n’avait pas de fond. Nous commençons, en Europe, à comprendre que nous nous sommes trompés. Sous son aspect rébarbatif, Donald Trump développe bel et bien une stratégie originale pour son pays. Elle peut nous déplaire, ou déplaire à nombre de ses compatriotes, mais elle existe, avec sa logique, avec sa cohérence. C’était flagrant lors du discours qu’il prononça, vendredi 26 janvier 2018, dans le cadre du Forum économique mondial de Davos.

Le passage le plus important est celui où le président américain fustigea les pays qui abusent du système ouvert et libre-échangiste mis en place par l’Occident après la fin de la logique des deux blocs (1991). « Nous soutenons le libre-échange ; encore faut-il qu’il soit équitable et qu’il fonctionne sous la forme de la réciprocité ! », a martelé Donald Trump. Il n’a accusé nommément aucun pays. Mais lorsqu’il a dit que son pays ne tolérerait plus les « pratiques économiques non équitables », et qu’il a cité parmi elles « le vol massif de propriété intellectuelle » ainsi que les politiques étatiques de dumping et de subventions cachées à l’industrie, tout le monde a compris que la Chine était visée.

Les exemples ne manquent pas. En 2001, la Chine produisait 1% des panneaux solaires dans le monde ; sa part de marché excède aujourd’hui les 50%, après que son industrie a été dopée par des prêts aidés, provenant de banques publiques aux bilans opaques. La part de marché mondiale de l’Amérique est descendue au-dessous de 1%, alors que c’est elle qui a inventé la technologie du photovoltaïque. Dans le secteur des semi-conducteurs, la planification étatique chinoise fixe l’objectif de diviser par deux d’ici dix ans les importations d’Amérique, et de les supprimer d’ici vingt ans. Depuis 1991, la Chine a divisé par dix ses droits de douane moyens (de 42% à 4,2%), afin de nous faire croire qu’elle se pliait bien aux règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Mais elle a multiplié les contraintes non-tarifaires. On souhaite bonne chance à l’assureur européen qui voudrait partir à l’assaut du marché chinois… Les entreprises occidentales souhaitant investir en Chine sont très souvent soumis au chantage suivant : nous ne vous donnerons l’autorisation d’investir, que si vous nous transférez de la technologie. Or l’OMC interdit spécifiquement ce type de chantage. Quant au pillage de technologie, il est flagrant : il suffit de regarder les TGV chinois et de demander aux ingénieurs de Siemens ce qui leur est arrivé.

Dans le grand jeu industriel mondial, la Chine ne se soumet pas au cadre ricardien de l’avantage comparatif ; elle veut la suprématie partout.

Pour faire plier la Chine et la forcer à appliquer les règles de l’OMC, Donald Trump a compris que l’Amérique avait besoin d’alliés. Déjà, à Genève, son administration soutient systématiquement l’Union européenne dans ses différends avec la Chine. Mais le président a compris que le grand jeu commercial s’était déplacé vers la zone Asie-Pacifique. Voici pourquoi, à Davos, il a proposé de renouer avec les 11 membres du TPP (partenariat transpacifique signé à Auckland en février 2016, mais dont Trump a retiré l’Amérique dès son arrivée à la Maison Blanche). Il est prêt à passer des accords bilatéraux avec chacun des onze, ou même à passer un accord avec le TPP en tant que tel. Trump ne supporte pas de voir la stratégie de son pays dictée dans une enceinte multilatérale ; mais il admet parfaitement le recours au multilatéralisme par les autres…

Les Européens seraient mal fondés à reprocher à Trump son discours de Davos, car ils savent très bien à quel point ils ont eux-mêmes été floués commercialement par la Chine depuis un quart de siècle. L’Amérique ne songe pas à plonger dans le protectionnisme. Mais elle veut, dans ce domaine, la règle de droit entre les nations, comme il en existe une chez elle (comme l’a montré la décision du tribunal fédéral ITC, annulant les droits de douane exorbitants qui avaient été mis, à la demande de Boeing, sur les avions canadiens Bombardier). Cette Amérique-là commence à être jalousée par les autres nations, parce qu’elle n’a jamais autant attiré les investisseurs et qu’elle n’a jamais créé autant d’emplois.

Sur le plan sécuritaire, Trump n’a pas hésité, à Davos, à dénoncer le double jeu d’une autre puissance asiatique, alliée stratégique de la Chine : le Pakistan. En effet, le matin, le « Pays des Purs » se proclame l’ami de l’Amérique, le soir il offre un sanctuaire aux Talibans, qui refusent toute paix des braves en Afghanistan…

Trump a opté pour une diplomatie des pieds dans le plat. Ce n’est pas toujours, forcément, la plus mauvaise.

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