Dans son long discours à la Conférence des ambassadeurs du 29 août 2017, Emmanuel Macron a fixé une nouvelle ligne à la politique étrangère française, rompant avec dix ans de quasi-alignement sur des doctrines néo-conservatrices importées d’Outre-Atlantique. On revient au réalisme gaullien, on ressuscite l’impératif d’indépendance, on développe une vision mondiale, on défend ses intérêts, on désigne son ennemi principal, on prête main forte à ses alliés, on privilégie tous azimuts le dialogue constructif par rapport au prêchi-prêcha moralisateur. Bref, on fait de la vraie diplomatie.
Bien sûr, ce ne sont que des mots et le jeune président français devra être jugé sur ses réalisations concrètes. Mais une pensée articulée, cultivée, argumentée, déterminée, exprimant clairement des principes et des objectifs, représente un bien meilleur départ en diplomatie que, par exemple, la doctrine pseudo-intuitive, changeante, braillarde, enchaînée aux polémiques de politique intérieure, qu’on peut trouver, depuis sept mois et demi, dans les twitts du président, relativement âgé, d’un très grand pays, allié de la France.
« Nous pouvons faire en sorte que l’avenir appartienne au dialogue et non à la guerre, à la coopération et non à la discorde, à la prospérité partagée et non aux crises », a dit Emmanuel Macron, fort justement, en conclusion de son adresse aux représentants de la France à l’étranger. A cet égard, le président a sur son bureau deux grands dossiers diplomatiques urgents, que son énergie et son habileté, appuyées sur les positions françaises traditionnelles, pourraient régler dans le sens du dialogue et de la coopération retrouvés. On ne parlera pas de la Corée, sujet brûlant mais où la France a historiquement une influence minime par rapport aux grands acteurs extrême-orientaux que sont la Chine et les Etats-Unis. Il s’agit de l’Iran et de la Russie.
En ce qui concerne la Perse, le risque est grand de voir l’Amérique saboter l’accord international historique du 14 juillet 2015 sur le nucléaire iranien, que le président Obama et son Secrétaire d’Etat Kerry avaient pourtant brillamment porté. Barack Obama avait, dès le mois de mars 2009, tendu la main à l’Iran, comprenant qu’une brouille aussi longue – de plus de trente ans ! – ne servait en rien la stabilité au Moyen-Orient. Le président démocrate voulait libérer la politique étrangère américaine de sa soumission systématique aux exigences israéliennes et de sa cécité volontaire face à la propagation saoudienne du wahhabisme. Macron est lui aussi adepte d’une politique d’équilibre, jugeant à raison que la France n’a pas à prendre parti dans la querelle sunnites-chiites entre Riad et Téhéran, et que son rôle est celui d’une médiation. Mais Trump a renoncé à cet impératif d’équilibre, en réservant son premier voyage à l’étranger (en mai 2017) aux princes saoudiens, en les gavant d’armes nouvelles, en fermant les yeux sur leur guerre si cruelle au Yémen, et en fustigeant un Iran qui n’avait pourtant en rien attenté aux intérêts américains depuis l’élection à Téhéran du président réformateur Rohani (été 2013). Trump a donné instruction à ses conseillers de lui trouver n’importe quel prétexte pour dénoncer l’accord nucléaire. L’idée est de mettre à genoux l’Iran stratégiquement, en reprenant une politique d’isolement économique du pays. Cela conduirait mécaniquement Téhéran à produire la bombe atomique, et relancerait la possibilité d’une nouvelle grande guerre du Golfe. Pour leurs propres raisons, les extrémistes des deux bords, les faucons du Congrès américain et les Gardiens de la Révolution iranienne, militent en faveur de la confrontation. Elle serait néfaste pour le monde entier. Macron doit user de l’amitié qu’il a habilement nouée avec Trump pour le faire renoncer à son aventurisme anti-chiites.
Sur le dossier russe, Macron doit poursuivre la politique de dialogue constructif qu’il avait initiée, en invitant Poutine à Versailles à la fin du mois de mai 2017. Les Occidentaux commettent une pure folie en poussant stratégiquement les Russes dans les bras des Chinois. Il faut ramener la Russie dans la famille européenne. Car elle y aspire de toute son âme et que c’est notre intérêt bien compris. Visitez le musée Pouchkine de Moscou : c’est une ode à la civilisation européenne. L’aspiration de l’Otan à s’implanter en Ukraine est une provocation et une violation des promesses faites par James Baker à Gorbatchev. On peut comprendre historiquement la prévention des Etats baltes et de la Pologne à l’égard de la Russie. Mais ces Etats ne peuvent à eux seuls dicter la politique orientale de l’Union européenne ! On n’imposera jamais par la force la démocratie et l’Etat de droit à la Russie. Elle les adoptera à son rythme, pourvu que l’Europe sache se montrer ouverte envers elle.