Sur le dossier coréen, avons-nous assisté à une rodomontade du président des Etats-Unis ?
Le 8 août 2017 Donald Trump avait promis le « feu et la colère » à la Corée du Nord, au cas où elle poursuivrait son programme d’armement balistique nucléaire. Pour donner du crédit à cette menace, les Etats-Unis et leurs alliés sud-coréens avaient, en dépit d’une injonction nord-coréenne de ne pas le faire, lancé le 21 août, leurs exercices militaires annuels « Ulchi Freedom Guardian », auxquels participèrent 67000 soldats. Kim Jong-un, le jeune dictateur nord-coréen, ne fut visiblement pas intimidé. Le 29 août, il ordonna le tir d’un missile balistique de portée intercontinentale, qui s’abîma loin dans les eaux de la Mer du Japon, après avoir survolé l’archipel, sans se faire intercepter. Pour éviter que l’escalade ne dégénère, la Chine et la Russie appellent les Etats-Unis à rouvrir un dialogue diplomatique avec la petite nation stalinienne et guerrière (25 millions d’habitants et un territoire équivalent au quart de la superficie française). Pékin et Moscou suggèrent le deal suivant : abandon par Pyongyang de ses essais nucléaires et balistiques en échange d’une suspension des manœuvres américaines. Mais Washington refuse. Le 3 septembre 2017, Kim Jong-un réagit en ordonnant un essai nucléaire, qu’il présente comme l’explosion d’une bombe H. Les missiles intercontinentaux des cinq grandes puissances nucléaires, membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU, sont tous porteurs de bombes H. L’escalade se poursuivit de manière verbale, avec Donald Trump traitant Kim Jong-un de « rocket man » lors de son discours à l’Assemblée générale des Nations Unies, et le ministre nord-coréen des affaires étrangères répondant quelques jours plus tard, à la même tribune, que Trump était un esprit « dérangé » et qu’il constituait « la plus grande menace actuelle pour la paix ». En géopolitique, quand on passe du stade de la confrontation à coups de manœuvres militaires à celui des insultes indirectes échangées à l’ONU, c’est que la tension commence à baisser.
Il paraît aujourd’hui évident que les Etats-Unis ne feront pas de guerre préventive contre la Corée du Nord. Chat échaudé craint l’eau froide. Les Américains sont inhibés par la catastrophe que fut leur dernière guerre préventive, l’invasion de l’Irak en mars 2003. Qui plus est, une action américaine unilatérale, pourrait provoquer des représailles nord-coréennes sur Séoul, qui feraient des dizaines de milliers de morts. Le président sud-coréen a d’ailleurs obtenu des Etats-Unis l’engagement qu’ils n’attaqueraient pas leur ennemi commun sans que Séoul ait donné un feu vert préalable – ce qu’il ne fera jamais.
Il paraît aujourd’hui tout aussi évident que la Corée du Nord, qui s’est retirée en 2003 du TNP (Traité de non-prolifération nucléaire dont l’application est contrôlé par l’Agence internationale de l’Energie atomique de Vienne), a l’intention de devenir une puissance nucléaire reconnue, au même titre que l’Inde ou que le Pakistan.
Comment en est-on venu à une situation aussi catastrophique ? La grande erreur stratégique remonte à l’époque de l’administration de George W Bush. En 2002, le président américain avait placé la Corée du Nord dans l’« axe du mal ». Le pays y côtoyait l’Irak et l’Iran. Washington s’est alors trompé de cible. Au nom de la lutte contre les « armes de destruction massive », les néoconservateurs sont allés faire la guerre à l’Irak – qui n’en avait plus aucune – au lieu de s’intéresser sérieusement à la Corée du Nord, qui développait à toute allure son programme militaire nucléaire. Aujourd’hui que Pyongyang dispose de la bombe, il est trop tard pour agir militairement.
Mais l’Amérique n’a pas dit son dernier mot. Sa stratégie va être celle d’une double riposte graduée. D’une part, elle va agir, via la Chine. Il lui suffit de brandir une menace financière contre les entreprises chinoises, en décrétant que quiconque continue à faire du commerce avec la Corée du Nord serait interdit d’affaires avec l’Amérique et donc de toute transaction en dollars. Cela à revient à une quasi interdiction bancaire internationale : aucune grand société chinoise ne peut se permettre de prendre ce risque.
D’autre part, les Etats-Unis vont relancer la fameuse « guerre des étoiles » chère à feu le président Ronald Reagan. La technologie des lasers a beaucoup progressé depuis cette date. On peut très bien imaginer, partant d’un satellite géostationnaire en position au-dessus du territoire nord-coréen, un système capable de désorienter le guidage de tout missile lors de sa phase d’ascension.
Il y a toutefois là un risque stratégique encore plus grand : que ces progrès techniques relancent une inutile course aux armements entre Washington, Pékin et Moscou…