L’Etat islamique, dont le territoire représentait, il y a un an, un quart de la superficie de la France, se rétrécit de jour en jour. Il est en train de perdre son fief irakien de Mossoul, où le 29 juin 2014, le prédicateur Aboubakar al-Baghdadi se proclama calife sous le nom d’Ibrahim et invita tous les musulmans du monde à se soumettre à son autorité. Les troupes d’élite de l’armée irakienne ont pénétré dans les faubourgs de la grande ville du nord de la Mésopotamie. Quelque cinq mille djihadistes de l’Etat islamique sont retranchés dans les quartiers est, bien décidés à vendre chèrement leur peau.
Daech est également en passe de perdre son fief syrien de Rakka, ville située sur les rives de l’Euphrate, à l’est du pays de Bachar al-Assad. Les FDS (forces démocratiques syriennes, composées en grande majorité de combattants kurdes du parti cryptocommuniste PYD et de quelques combattants arabes sunnites) foncent vers Rakka. Les FDS sont appuyées et conseillées par des officiers et sous-officiers des forces spéciales américaines. Le Pentagone finance, arme et conseille également l’offensive de l’armée irakienne sur Mossoul.
Nous ne sommes pas ici dans une guerre classique comme a pu l’être la prise de Berlin en avril-mai 1945. Dans cet affrontement aussi sporadique qu’asymétrique, où les acteurs sont multiples (djihadistes sunnites, milices chiites, unités kurdes, armée irakienne, tribus sunnites, conseillers américains, etc.), il sera difficile, une fois Mossoul et Rakka tombées, de déclarer un vainqueur.
Les Kurdes ? Les Kurdes d’Irak ont profité du chaos des deux dernières années pour s’emparer de la ville pétrolière de Kirkouk, dont ils chassent actuellement les familles arabes sunnites, en rasant leurs maisons au bulldozer. Mais les Kurdes n’auront jamais l’Etat qui leur avait été promis à la conférence de Sèvres après la première guerre mondiale, en raison non seulement de leurs divisions internes (les Kurdes syriens et les Kurdes irakiens ne s’aiment pas), mais aussi de l’opposition des puissances régionales à tout changement de frontières.
Les Turcs ? Ils piaffent d’impatience, ils aimeraient lancer leur armée sur Mossoul comme sur Rakka, mais personne ne les invite à le faire, et ils réfléchiront à deux fois avant de défier militairement des forces conseillées par les Etats-Unis. Le rêve néo-ottoman d’Erdogan ne prendra pas forme à l’est, car il est bloqué par le baasisme en Syrie, et le nationalisme pro-chiite en Irak.
L’Etat irakien ? Il ne gardera durablement son contrôle sur ses régions sunnites que s’il leur accorde une large autonomie. L’Irak sera fédéral ou ne sera pas. Et la même chose vaut pour l’Etat syrien.
Les Occidentaux ? Ils ne pourront parvenir à détruire l’Etat islamique que s’ils appliquent quatre grands principes dans cette bataille qu’ils commandent, financent et influencent depuis l’arrière.
Le principal problème des Occidentaux – et surtout des Européens – est le retour des djihadistes titulaires de passeports de ces pays. Ces djihadistes
sont principalement regroupés à Rakka. Il faut que nous menions un travail de renseignement poussé pour repérer ces fanatiques (ce qui implique de travailler avec tous les services de
renseignement locaux, y compris ceux du régime de Bachar, et de rouvrir notre ambassade à Damas) et que nous allions les tuer sur place, sans attendre leur retour chez nous.
Deuxièmement, pour vaincre Daech, il faut accepter de parler à tout le monde, même si cela nous déplait. Nous devons coordonner nos actions militaires avec les Russes. Les problèmes du Moyen-Orient ne peuvent être résolus si l’on exclut Moscou, Damas, Téhéran, Ankara ou Riyad. Nous devons continuer à nous coordonner avec les forces kurdes (syriennes et irakiennes) et le faire davantage avec les puissances chiites (Iran, Irak, Hezbollah libanais), car ce sont
les ennemis principaux de Daech dans la région.
Troisièmement, nous devons nous appuyer sur les tribus sunnites pour opérer la reconquête des territoires sunnites. Nous devons leur donner des garanties de sécurité et de représentativité politique dans l’Irak de demain. L’une des forces de Daech est la
complaisance des tribus sunnites à son égard. C’est cet avantage que nous
devons saper. Une force sunnite sera toujours plus efficace, mieux acceptée de la population et moins prompte aux exactions dans un
territoire sunnite. N’oublions pas que les seuls résultats sécuritaires crédibles obtenus en Irak depuis 2003 l’ont été par le général américain Petraeus (2007-2008), quand il a réussi à s’allier
aux tribus sunnites et à les désolidariser d’Al-Qaïda.
Le quatrième principe, c’est celui d’une vision à long terme pour sortir la région du chaos. L’anarchie et la guerre civile entre
kurdes, sunnites et chiites après la reconquête de Mossoul annuleraient
tous les gains de cette opération et donneraient, hélas, une seconde vie à l’organisation terroriste…