Faut-il parler de premier espoir pour la paix en Syrie ? Le vendredi 18 décembre 2015, le Conseil de sécurité de l’Onu, a adopté, à l’unanimité de ses quinze membres, la résolution 2254, qui prévoit l’ouverture de pourparlers, dès le mois de janvier 2016, entre le gouvernement de Bachar al-Assad et son opposition armée. C’est la première fois depuis le début de la guerre civile en Syrie, il y a quatre ans et demi, que les grandes puissances trouvent un accord. L’idée est d’instituer en même temps un cessez-le-feu et un processus de transition politique qui aboutisse à une gouvernance « crédible, inclusive et non confessionnelle ». Au bout de dix-huit mois, une nouvelle constitution devrait être rédigée et des élections organisées.
Le vote de cette résolution « est un pas important sur lequel nous devons construire », a commenté, de manière réaliste, le secrétaire général des Nations Unies, chargé de piloter les pourparlers de paix. Ban Ki-Moon sait d’expérience qu’une résolution du Conseil de sécurité n’est pas une baguette magique faiseuse de paix et que tout dépend du sérieux de son application par les parties signataires, dans un processus qui compte toute une série d’étapes.
Les difficultés sont innombrables. Premièrement, comment désigner les organisations terroristes qui seront exclues de tout cessez-le-feu en Syrie ? Il y a déjà un désaccord sur Ahrar Al-Sham, puissant groupe salafiste soutenu par la Turquie et le Qatar, que Moscou et Téhéran souhaiteraient voir figurer sur la liste des groupes terroristes. Deuxième difficulté, comment désigner la délégation qui négociera pour le compte de l’opposition syrienne ? Pour répondre à ces deux préoccupations, un arbitre existe déjà : c’est le Groupe de soutien international à la Syrie, qui inclut dix-sept pays ainsi que les Nations unies, l’Union européenne et la Ligue arabe : aura-t-il suffisamment d’autorité?
Troisième difficulté, le président Bachar al-Assad collaborera-t-il sincèrement à un processus qui intègre sans le dire son éviction du pouvoir politique ? C’est la question que John Kerry, principal artisan de cet effort de paix, est allé poser à Moscou, mardi 15 décembre 2015. Vladimir Poutine a répondu au Secrétaire d’Etat américain que Bachar al-Assad était « prêt à collaborer à une transition politique et à adhérer au principe d’une élection ». Mais quel est le degré réel de contrôle de Poutine sur Assad?
Le plus urgent aujourd’hui n’est pas de gamberger sur la forme de futures institutions démocratiques en Syrie ; c’est de faire cesser les combats. L’envoyé spécial du secrétaire général des Nations unies, Staffan de Mistura, le sait bien, qui plaide depuis longtemps pour l’instauration de mini cessez-le-feu partout en Syrie. C’est comme cela, de manière progressive et locale, que la paix s’est faite au Liban, petit pays multiconfessionnel voisin, ravagé par une guerre civile de 1975 à 1990. Les factions qui se partageaient Beyrouth ont commencé par ne plus se tirer dessus, puis par se parler, puis par édifier entre leurs zones de contrôle des « check-point » cogérés, puis par autoriser une circulation minimum des civils, puis par reprendre entre elles le commerce. Il fallut attendre bien plus tard pour que les familles de réfugiés se réinstallent dans les quartiers dont la guerre les avait chassées.
Faire la paix du haut vers le bas n’a pas bien marché en Syrie. A Genève, dès 2012, on a convié les dirigeants à des conférences de paix : elles n’ont rien donné. Staffan de Mistura fait le pari d’une paix qui irait du bas (le terrain à Alep, à Douma, à Hama, etc.) vers le haut. Des cessez-le-feu auxquels on s’habitue, cela devient une forme rudimentaire de paix. Ils n’empêchent nullement le déroulement d’une conférence de paix générale au sommet. C’est l’expérience que nous avons eue au Liban avec la conférence de paix de Taëf (Arabie saoudite) d’octobre 1989, où les partis libanais, les pays arabes, l’Amérique et la France se sont accordés pour un nouvel équilibre institutionnel entre communautés chrétienne et musulmane.
Peu importe que les négociations entre parties syriennes durent des années, pourvu que, sur le terrain, le début de leurs pourparlers ait provoqué l’arrêt des combats. Ne nous faisons aucune illusion. On ne retrouvera jamais la Syrie unitaire d’antan. Il y aura toujours trois entités territoriales distinctes : une bande côtière habitée par les alaouites, les chrétiens, les druzes et les bourgeois sunnites laïcs (les piliers de toujours du régime baasiste) ; une zone kurde au nord ; un Sunnistan sur le reste du pays. Le mieux qu’une conférence internationale pourra établir serait une fédéralisation lâche de ces trois entités autonomes. La libanisation n’est pas, dans l’absolu, le meilleur avenir qu’on puisse souhaiter à un pays multiconfessionnel. Mais ce serait déjà, pour la Syrie actuelle, un immense progrès. En géopolitique aussi, le mieux est l’ennemi du bien.