En mars 1991, après la libération réussie du Koweït, qu’il avait accomplie à la tête d’une vaste coalition internationale, le président des Etats-Unis fit un discours solennel devant les deux chambres réunies du Congrès américain. Il s’agissait de George H Bush, qu’on appelle en Amérique Bush 41 (41èmeprésident des Etats-Unis, de 1989 à 1992), pour le distinguer de son fils George W Bush (43èmeprésident, de 2001 à 2008). Dans cette allocution historique, Bush 41 annonça l’avènement d’un « nouvel ordre mondial ». De quoi était constitué ce new world order, qui mettait fin à près d’un demi-siècle de guerre froide, et de division de la planète en deux blocs rivaux ?
Diplomatiquement, il redonnait sa prééminence aux Nations Unies et au droit international. Militairement, il prenait acte de l’absolue supériorité de l’hyperpuissance américaine. Economiquement, il proclamait la victoire de l’économie de marché et du libre-échangisme. Politiquement, il consacrait l’importance de la notion de frontière.
Souvenons-nous. Diplomatiquement, l’Amérique avait pris grand soin d’obtenir l’accord préalable du Conseil de sécurité de l’Onu, avant de se lancer dans une opération militaire de reconquête du Koweit, que les troupes irakiennes avaient envahi le 2 août 1990. Militairement, les spécialistes étrangers avaient été stupéfaits de la facilité avec laquelle la coalition menée par les Etats-Unis avait écrasé l’armée de Saddam Hussein. La supériorité technologique de l’armée de l’air et de la marine américaines, dont on pouvait voir les effets sur CNN – une toute nouvelle chaîne de télévision ayant inventé l’ « information » en continu -, avait fasciné des centaines de millions de spectateurs. Economiquement, l’ensemble des Etats de la planète avait adopté chez eux l’économie de marché, ce qui avait amené le professeur américain Francis Fukuyama à proclamer la « fin de l’Histoire ». En matière de commerce international, le libre-échangisme devenait la doxa commune. L’OMC prenait le relais du GATT. En Europe, la CEE instituait le Marché unique sur son territoire, et, face à l’extérieur, baissait considérablement ses droits de douane communs. Politiquement, l’importance accordée aux frontières était éclatante. Le Koweït avait récupéré les siennes, sans que celles de l’Irak ne soient changées. En Europe de l’Est, de nouvelles frontières internationales étaient apparues ou reparues (comme celles des Etats baltes, annexés par Staline à l’automne 1939). En décembre 1994, Bill Clinton, John Major et Boris Eltsine signaient ensemble le mémorandum de Budapest, qui faisaient des Etats-Unis, du Royaume-Uni et de la Russie des puissances garantes de l’intégrité territoriale de l’Ukraine.
Force est de constater que ce « nouvel ordre mondial » a volé en éclats. Diplomatiquement, l’Onu est quasiment revenue à sa paralysie du temps de la guerre froide, après avoir été bafouée trois fois. En mars1999, l’Otan se lança dans une campagne de bombardements de la Yougoslavie, sans la moindre autorisation du Conseil de sécurité de l’Onu. En mars 2003, les Etats-Unis envahirent l’Irak, sans mandat du Conseil et après lui avoir menti (allocution du Secrétaire d’Etat Powell sur de prétendues « armes de destructions massives »). En mars 2011, munie d’un mandat de « protection des populations civiles », une coalition occidentale attaqua la Libye de Kadhafi. Mais les occidentaux outrepassèrent ce mandat, en provoquant un changement de régime qui n’était nullement prévu dans la résolution onusienne.
Militairement, les Etats-Unis ne sont plus l’hyperpuissance qu’ils étaient car ils ne font plus peur. L’Amérique n’a pas compris qu’en géopolitique, on ne sort de la dissuasion qu’à son détriment. Elle s’est lancée dans deux opérations coûteuses (Irak2003-2010 ; Afghanistan 2002-2014), qui ne lui ont apporté aucun avantage stratégique.
Economiquement, le libéralisme et le libre-échangisme sont remis en cause à travers toute la planète, y compris aux Etats-Unis (notamment par Bernie Sanders et Donald Trump). Sur le dossier chinois, beaucoup d’observateurs (à commencer par le président Obama) estiment que l’OMC s’est fait berner.
Politiquement, les frontières sont bafouées partout. En Ukraine, par la Russie. En Mer de Chine, par Pékin. En Mésopotamie, par l’Etat islamique. Avec l’Espace Schengen, l’Union européenne s’était dotée d’une seule frontière extérieure. Mais personne ne la respecte.
En 1992, le monde entier regardait avec considération une Europe de Maastricht qui semblait s’envoler vers la puissance politique. Aujourd’hui elle donne l’impression d’être un nain politique, quand on la compare aux trois grands que sont les Etats-Unis, la Chine et la Russie.
Quel ordre mondial reconstruire ? C’est la première question que devra se poser le nouveau président américain, lorsqu’il (ou elle) prendra ses fonctions le 20 janvier 2017. Il ne pourra pas accomplir seul cette tâche, sans l’aide des autres nations. Mais il ne pourra pas non plus y échapper.