A première vue, catastrophique apparaît cette idée d’un referendum au Royaume-Uni le 23 juin 2016, proposant aux Britanniques, pour la seconde fois dans leur Histoire, de sortir de l’Union européenne (UE). Cette consultation aux conséquences stratégiques est fille d’un calcul tactique de bas étage, que fit le Premier ministre David Cameron, pour amadouer provisoirement le parti conservateur. Elle répand dans le monde une mauvaise image du Royaume, qui donne l’impression de ne pas savoir ce qu’il veut. S’il était adopté, le Brexit représenterait une régression fantastique du continent européen et un immense gâchis diplomatique. Innombrables sont, en plus de quarante ans d’Histoire commune, les décisions européennes qui ont été prises sur des initiatives britanniques. La capitale financière de l’UE aurait pu être Paris si, dans la deuxième moitié des années 1970, les autorités françaises ne s’étaient pas montrées fiscalement aussi psychorigides. Mais elle est aujourd’hui Londres, et ce n’est pas prêt de changer. A Bruxelles, la principale langue de travail est devenue l’anglais. Cela va faire bizarre de continuer à le parler, en l’absence des Anglais. Dans les années 1960, il y avait une logique à ce que le Royaume-Uni n’appartînt pas à un Marché commun, qui était contraire à ses intérêts agricoles et douaniers. Mais, depuis le traité de Maastricht (1992), l’Europe institutionnelle a pris une dimension politique. Politiquement et militairement, une UE sans la Grande-Bretagne constituerait indéniablement une puissance amputée.
Restons toutefois optimistes. D’un mal, peut toujours surgir un bien. Ce referendum, qu’il soit ou non adopté, ne va-t-il pas provoquer une secousse tellurique salutaire ? Car les choses ne peuvent rester en l’état. A l’évidence, l’UE a besoin d’une refondation, de la cave au grenier. Elle n’apporte plus rien de concret aux citoyens européens. Elle ne les fait plus rêver.
Il est inutile d’appeler au projet irréaliste d’une Europe fédérale. L’UE a très peu de chance de devenir une fédération ressemblant aux Etats-Unis d’Amérique. Tout simplement parce que, culturellement, les habitants de Boston, de Chicago et de San Francisco sont beaucoup plus proches les uns des autres que ne le sont ceux de Porto, de Leipzig et de Thessalonique. Lorsque, en 1997, les deux grands Etats signataires du traité de Rome (1957), la France et l’Allemagne, ont fait le choix stratégique de privilégier l’élargissement de l’Union à son approfondissement, ils enterraient en même temps toute idée de fédéralisme européen. Mais il n’existe aucune fatalité condamnant à l’échec une Europe qui soit confédérale.
La seule chose qu’on demande à cette Europe des patries est de protéger ses citoyens, et de leur apporter une valeur ajoutée par rapport à leurs autorités nationales. Si les citoyens de l’UE lui témoignent de moins en moins d’affection, c’est qu’elle ne semble pas capable de les protéger face au monde extérieur. En méconnaissant l’importance de la notion de frontière, les hiérarques de Bruxelles (du Conseil comme de la Commission) ont commis une erreur historique. Sur le commerce des marchandises, le tarif extérieur commun a été placé beaucoup trop bas, sans le moindre filtre face à l’invasion des produits chinois. Les frontières ont été abolies eu égard au flux des capitaux. C’est la raison pour laquelle la crise américaine des subprimes de l’automne 2008 s’est déversée avec tant de facilité sur une Europe pourtant totalement innocente. En Europe, nous n’avons pas fait qu’absorber les crises des autres ; nous avons aussi négligé celles que nous avions nous-mêmes créées : après la création de la zone euro en 1999, personne n’a proposé un mécanisme de recyclage vertueux des immenses excédents commerciaux allemands internes à cette zone.
Des Etats-Unis, nous ne recevons pas que les crises, nous recevons aussi notre code de conduite. Le système bruxellois s’est montré incapable de réagir à l’hégémonisme juridico-financier américain, caricatural dans l’amende monstrueuse infligée à la BNP, ou la prise de contrôle du département des turbines d’Alstom.
Sur le mouvement des personnes, nous avons créé l’espace Schengen, mais nous n’avons pris aucune mesure concrète pour le faire respecter.
Institutionnellement, la Commission doit revenir à son rôle initial d’apporteur d’idées, avec des commissaires trois fois moins nombreux, choisis pour leurs mérites, pas pour leur nationalité. Le Parlement doit être l’émanation des Parlements nationaux. Les gouvernements des grands Etats membres doivent perdre l’habitude de nommer systématiquement des médiocres à la tête des institutions européennes.
La présidence Hollande n’aura rien fait pour améliorer le fonctionnement de l’UE. Mais l’on ne voit rien de saillant non plus dans les propositions émanant de l’opposition de droite. Robert Schuman et Jean Monnet doivent se retourner dans leurs tombes…