A Hanovre, le dimanche 24 avril 2016, à l’occasion de l’inauguration de la plus grande foire industrielle du monde, Barack Obama s’est livré à un panégyrique sans précédent d’Angela Merkel. Le président a loué le rôle joué par la chancelière dans la stabilisation de l’économie mondiale, mise à mal par une crise financière monstrueuse, née au début de l’automne 2008, dans un Wall Street s’étant progressivement transformé en gigantesque casino. Cet éloge était-il désintéressé, ou visait-il à obtenir un soutien de l’Allemagne au traité de libre-échange transatlantique qu’Obama aimerait laisser à son pays avant de partir ? Pour le président américain actuel, Madame Merkel est un dirigeant admirable, guidé « à la fois par des intérêts et des valeurs ». Sur la crise des migrants, Barack Obama estime que la chancelière s’est placée « du bon côté de l’histoireelle incarne des principes qui rassemblent les gens plutôt qu’ils ne les divisentJe suis fier d’elle et des Allemands », a ajouté le président des Etats-Unis, qui a passé en revue toutes les crises mondiales que les deux leaders avaient gérées, plus ou moins ensemble.
Dans le domaine des relations internationales, peut-on rêver plus belle fête que celle où un homme d’un autre continent, à la fois très puissant et Prix Nobel de la Paix, instruit publiquement le procès en béatification d’une femme européenne, dirigeant une économie rivale de la sienne ? Au risque de paraître rabat-joie, j’ai remarqué quelques fausses notes dans la musique accompagnant cet éblouissant numéro de tango américano-germanique.
C’est le passage sur la Syrie qui a sonné le plus faux. Car les deux danseurs se sont retrouvés à contre-emploi. La chancelière, qui a des idées mais presque pas d’armée, a appelé de ses vœux la mise en œuvre, en faveur des civils, d’une « zone de sécurité » à l’intérieur de la Syrie. On l’a vu lors de la guerre civile bosniaque (1992-1995), ces zones de sécurité nécessitent, pour survivre, la présence de forces internationales crédibles. Or, en Afghanistan comme au Kosovo, les soldats allemands ont montré qu’ils n’aimaient pas se battre.
En revanche, le président américain dispose d’une vraie armée et de soldats sachant se battre. Mais ses idées le portent vers un « retrait stratégique » de l’Amérique au Moyen-Orient. C’est vrai que l’établissement aujourd’hui d’une telle zone se heurte à de grosses difficultés pratiques, comme l’a fait valoir à Merkel le président Obama. Mais il a omis de dire que si Washington avait, au printemps 2011, accepté la proposition de Moscou de gérer conjointement la crise syrienne qui s’amplifiait – avec des Russes prêts à l’époque à envisager un écartement de Bachar al-Assad -, ce pauvre pays n’en serait pas là. Il est vrai que sa Secrétaire d’Etat du moment, Hillary Clinton, croyait à une chute imminente de Bachar, et à son remplacement par une opposition démocratique. Ni Hillary, ni Obama, ni Merkel, n’avaient compris qu’au Levant, les islamistes étaient déjà prêts à tirer profit du crépuscule des dictatures laïques. Après son départ d’Irak, Obama avait annoncé que l’Amérique se contenterait désormais de « rule from behind » (gouverner depuis l’arrière). Au Moyen-Orient, cela ne marche pas. Ou bien on gouverne (comme à l’époque des mandats), ou bien on n’intervient plus (comme après Suez). Mais quand on est quand même intervenu (comme l’Amérique en Irak en 2003), la moindre des choses est de laisser en partant une situation meilleure que celle qu’on a trouvée en intervenant.
Les remerciements d’Obama à Merkel sont compréhensibles : elle a accepté de prendre chez elle plus d’un million de réfugiés issus d’une guerre civile dans laquelle l’Allemagne a très peu de responsabilité et l’Amérique beaucoup.
Mais ce que n’a pas voulu voir Obama c’est la possible bombe à retardement créée en Europe par Merkel lorsqu’elle a déclaré ouvertes les frontières de Schengen. Le Vieux Continent semble avoir quelque difficulté avec le fantastique appel d’air provoqué par la Chancelière. En Autriche, pays prospère, l’extrême droite a réuni 37% des voix au premier tour de la présidentielle du 24 avril. C’est le signe d’une insécurité culturelle. Pour tarir le flot des réfugiés, Merkel est allé quémander l’aide du sultan turc. Il fait maintenant un chantage à l’Union européenne : je retiens chez moi les réfugiés des guerres orientales, à condition que vous exemptiez de visas mes 80 millions de sujets musulmans ! Le multiculturalisme, dont elle avait naguère dénoncé l’échec, ne semble plus faire peur à Madame Merkel. Tant mieux pour elle. Mais le problème est qu’il est jugé inacceptable par tous les pays d’Europe de l’Est que l’Allemagne a jadis fait entrer dans l’Union européenne. Madame Merkel est mue par de bonnes intentions. Mais ne pavent-elles pas un enfer politique, avec, partout, la montée de l’extrême droite et le refus des normes européennes ?