La Russie mérite-t-elle les sanctions commerciales que l’Union européenne lui a infligées à la suite de son annexion de la Crimée et de son ingérence militaire dans le Donbass ? C’est une question que pose de bonne foi toute personne abordant le dossier ukrainien. Mais c’est, en géopolitique, une question mal posée, car plantée sur le champ de la morale. La Russie n’est pas un enfant qu’on peut priver de dessert parce qu’il a dit un gros mot en plein milieu du déjeuner familial du dimanche. Dans la sphère des relations internationales, la notion de « punition » est dangereuse à manipuler. Les Etats ne sont pas des adolescents qu’on peut faire progresser moralement en leur infligeant une « punition bien méritée ». Ce sont des animaux complexes, lents, froids, peu flexibles. Le seul critère qu’il faut appliquer aux sanctions commerciales – qui frappent l’ensemble d’une population – est celui de l’efficacité. Font-elles progresser ou non la cause de la paix ? Améliorent-elles ou non le bonheur des peuples vivant dans les régions où elles sont appliquées ?

Indiscutablement, la Russie a violé le droit international en Ukraine. On peut tout dire, que la population de Crimée est très majoritairement prorusse (ce qui est avéré), que celle du Donbass l’est aussi (ce qui est moins sûr), que Kiev est le berceau de la culture russe (ce qui est une vérité historique) ; il n’empêche : c’est librement que Moscou a laissé l’Ukraine prendre son indépendance en 1991, c’est librement que le président Elstine a signé en 1994 le mémorandum de Budapest, qui fait de la Russie un Etat garant de l’intégrité territoriale de l’Ukraine (après que cette dernière eut renoncé à ses armes nucléaires).
Certes la France, l’Allemagne et la Pologne ont commis l’immense bévue de laisser fouler aux pieds, par les manifestants de Maïdan, l’accord politique intra-ukrainien (entre pro-européens et pro-russes) qu’elles avaient parrainé, puis signé, devant les caméras de télévision, le vendredi 21 février 2014.
Mais cette grossière maladresse diplomatique européenne, fille de la paresse et de la désinvolture, ne justifie en rien que la Russie ait renié sa propre signature en s’emparant de la Crimée. Stratégiquement, son choix fut finalement désastreux, car si elle a gagné la Crimée, elle a perdu l’Ukraine. Avant la guerre de l’été 2014 dans le Donbass, la majorité du peuple ukrainien n’avait que de la sympathie pour les Russes, aujourd’hui elle les hait.

Vladimir Poutine s’est-il rendu compte que les « siloviki » (membres des « ministères de force ») gravitant autour du Kremlin lui avaient fait commettre une énorme erreur, en lui disant que le Donbass se rallierait à Moscou aussi facilement que la Crimée l’avait fait ? Sans doute. Car notre nouveau tsar a imposé un frein à tous ces Cosaques, ces excités de la Kalachnikov, ces nostalgiques de l’Empire, qui arborent le ruban de Saint-Georges, tout en ne détestant pas le pillage. On nous avait prédit que les prorusses, aidée par l’armée russe, prendraient Marioupol pendant l’été, afin d’ouvrir un corridor terrestre entre la presqu’île de Crimée et la mère patrie russe. Il n’en a rien été. Aujourd’hui, Poutine ne cherche-t-il pas à sortir la tête haute du guêpier ukrainien, dans lequel il s’est fourré tout seul l’année dernière ? Ne devons-nous pas l’aider, sans ressasser le passé ?
Comme l’a montré l’accord nucléaire avec l’Iran du 14 juillet 2015, la diplomatie américaine est beaucoup plus pragmatique et dynamique que la nôtre. Le secrétaire à la Défense des Etats-Unis a pris l’initiative d’approcher son homologue russe pour discuter avec lui d’une stratégie commune contre l’Etat islamique au Levant. Il est évident que nous, les Occidentaux, avons besoin des Russes dans notre combat contre notre ennemi principal, le djihadisme islamique. Il est urgent que la France, pays de Sadi Carnot et de Charles de Gaulle, retrouve une grande politique russe ! Ne jetons pas bêtement les Russes dans les bras des Chinois. Quel que soit le tsar en place à Moscou, l’alliance franco-russe n’a jamais nui à la France.

Suivons la politique de nos intérêts et suspendons les sanctions commerciales contre la Russie. Faisons-le, sans demander leur avis aux Américains. Soyons à cet égard aussi pragmatiques qu’eux. Bien sûr, il faut laisser les sanctions personnelles contre les agitateurs du type du colonel Strelkov.
Attendons de recueillir les fruits d’un geste diplomatique aussi fort que celui d’une suspension unilatérale des sanctions. Car il est probable qu’il ferait réagir Vladimir Poutine dans le bon sens, en Syrie et en Ukraine.
Vous oubliez la morale, dira-t-on. Malheureusement, oui. Les relations internationales font peu de place à la morale. Contrairement à ce que pensent les néo-conservateurs, la paix est plus importante que la justice. A-t-on imposé la moindre sanction à l’Amérique pour avoir envahi illégalement l’Irak en mars 2003 ?

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