L’Amérique a une stratégie. La Chine a une stratégie. La Russie a une stratégie. Mais l’Europe n’a pas de stratégie.

Nous, Français, qui sommes des citoyens originels de l’Europe institutionnelle, nous sentons-nous le moins du monde guidés par le trio gouvernant l’Union européenne (Juncker, Tusk, Mogherini) ? Face aux accrocs de la mondialisation, nous sentons-nous bien protégés par les 28 commissaires, les 751 parlementaires et les 55000 hauts fonctionnaires européens ? Faisons-nous confiance aux institutions de Bruxelles pour mieux aménager notre avenir ? Aujourd’hui, la réponse est non. C’est dommage, car la construction européenne constitue la plus belle aventure humaine que notre Continent ait connue depuis la fin de la deuxième guerre mondiale.

Comment expliquer la panne profonde de l’idée européenne que vit aujourd’hui le pays de Jean Monnet ? Elle est due à trois grands échecs, de nature différente, ayant instillé dans l’esprit des citoyens le sentiment d’une inquiétante impuissance européenne.
Le premier échec est économique. Réuni en mars 2000 dans la capitale du Portugal, le Conseil européen adopta un axe ambitieux de politique économique et de développement de l’Union européenne (UE) pour la décennie 2000-2010. L’objectif proclamé de ce qu’on a appelé la « stratégie de Lisbonne » était de faire de l’UE « l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde d’ici 2010, capable d’une croissance économique durable, accompagnée d’une amélioration quantitative et qualitative de l’emploi et d’une plus grande cohésion sociale ». Le moins qu’on puisse dire est que cette cible, qui a été parfaitement atteinte par l’Etat de Californie, a été complètement ratée par l’UE. Le problème de cet « agenda de Lisbonne » est qu’il n’était pas contraignant, laissant à chaque Etat membre le soin de faire chez lui les réformes nécessaires. Le rôle de l’Union était seulement de les coordonner, pour créer un effet de synergie. En Europe, les gouvernements nationaux, souvent mus par une grande lâcheté électoraliste, rechignent déjà à suivre les règles obligatoires qu’ils se sont imposées à Bruxelles – l’exemple le plus criant étant l’invention par notre Direction du Trésor du seuil maximum de 3% de déficit budgétaire par rapport au PIB, qui fut violé en premier par la France. Alors, les engagements européens facultatifs, qui va avoir le courage de les imposer dans le droit national, face à tous les conservatismes syndicaux, patronaux, universitaires ?

Le deuxième grand raté européen est d’ordre juridique. Le 30 juillet 1997, la Commission européenne prit une décision déclarant compatible avec les règles européennes une opération de fusion qui s’était déroulée aux Etats-Unis. C’est aux conditions et selon les modalités fixées par la Direction de la Concurrence de Bruxelles que les géants américains de l’aéronautique Boeing et Mc Donnell Douglas fusionnèrent. Il s’agissait de protéger Airbus d’une concurrence déloyale. On pouvait alors espérer que l’Europe allait devenir la principale source de la jurisprudence mondiale. Or c’est le droit américain qui s’est, depuis, imposé à l’Europe et non l’inverse. La BNP a payé au Trésor américain une amende de neuf milliards de dollars pour avoir contrevenu à la loi américaine – mais non à la loi européenne – en finançant des exportations, libellées en dollars, de produits soudanais, iraniens et cubains. La justice américaine a tendance étendre au monde entier l’application de la loi américaine. Curieusement, l’UE ne résiste pas à cet hégémonisme judiciaire. Elle ne pense même pas à rendre coup sur coup. Il ne serait pas anormal que Goldman Sachs paie une amende de, disons… 27 milliards de dollars, à l’UE, pour avoir maquillé les comptes publics de la Grèce. Or personne à Bruxelles n’a songé à lancer une telle procédure.

Le troisième échec, le plus spectaculaire, est géopolitique. Sur la question des migrants, l’impuissance de l’UE a été patente. Conséquence des printemps arabes, la déstabilisation du Maghreb et du Machrek date de l’année 2011. L’UE avait trois ans pour élaborer une stratégie efficace de protection de ses frontières ainsi qu’une politique commune du droit d’asile, qui fasse la différence entre réfugiés politiques et migrants économiques. Elle n’a rien fait. L’Arabie saoudite ferme ses portes aux musulmans sunnites, qui forment le gros des migrants de venus de Syrie, par peur d’être « déstabilisée ». L’Europe les reçoit par dizaines de milliers, sans l’avoir voulu. Il y a un énorme problème avec l’islam en Europe : elle est impuissante à le saisir. Contrairement à l’Amérique, l’Europe n’a pas une immigration choisie.

L’UE est-elle condamnée à l’impuissance ? Non. Mais il faudrait que les grands Etats membres mettent un terme à leur comportement schizophrénique : augmenter les pouvoirs de l’Union, tout en nommant des médiocres pour les exercer.

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