La France ne peut pas attendre qu’un nouveau président s’installe à l’Elysée au mois de mai prochain pour réfléchir et concevoir une politique étrangère prête à répondre aux grands défis qui nous viendront cette année de l’étranger.
Ils nous viendront principalement de cinq directions : des Etats-Unis, où il nous faudra réagir à une nouvelle administration portant peu de considération à la France ; de Russie, qu’il faudra ramener dans la famille européenne ; du Moyen-Orient, où la voix de la France n’a jamais été aussi peu entendue depuis Bonaparte ; d’Afrique, où des millions de jeunes hommes ne rêvent plus que de migrer vers le nord ; de l’Union européenne, que le pays de Monnet et Schuman se doit de remettre debout.
Pour traiter sur un pied d’égalité avec notre imprévisible allié américain, comme avec notre turbulent partenaire russe, nous disposons de l’atout considérable que nous a laissé le général de Gaulle : notre indépendance stratégique. Le président français n’aura pas à quémander auprès de Donald Trump un quelconque maintien du parapluie nucléaire américain ; il pourra questionner droit dans les yeux Vladimir Poutine sur la réalité de ses intentions dans le Donbass ukrainien et la mer Baltique. Encore faut-il que nous poursuivions la modernisation de nos armées, sans rechigner sur l’effort budgétaire.
Pour édifier une grande politique étrangère, l’indépendance est indispensable ; mais elle n’est pas suffisante. Il faut aussi du poids. Or nul ne peut aujourd’hui, sans un minimum de puissance économique, prétendre peser sur les affaires du monde. Voilà pourquoi il est crucial de redonner toute sa vigueur à l’axe franco-allemand. Ce dernier a été mis à mal par l’incapacité de Paris à respecter ses promesses en matière de déficits publics. Les critères de Maastricht sont une invention française ; les Allemands considèrent à raison que la moindre des choses serait pour la France de les respecter.
Depuis que l’Angleterre de Theresa May se dirige – hélas -économiquement vers un Brexit dur, et militairement vers un alignement sur Washington, il n’y a pas pour Paris de choix diplomatique alternatif à l’axe franco-allemand. Ce dernier a montré son efficacité dans l’espace ex-soviétique avec l’établissement du « format Normandie » (Russie, Ukraine, France, Allemagne) inauguré le 6 juin 2014, et la signature du protocole de Minsk du 11 février 2015. Tout le défi de notre diplomatie orientale en 2017 sera de transformer le probable rapprochement Washington-Moscou en force d’impulsion pour faire réussir Minsk, à savoir le retour du contrôle de l’Ukraine sur ses frontières au Donbass, assorti d’une amnistie et d’une autonomie politique pour cette région russophone et russophile. Il faut agir vite, afin que nous puissions, ensemble avec les Allemands, suspendre dès l’été prochain les sanctions contre Moscou : elles pénalisent notre agriculture et notre industrie, alors qu’elles n’ont jamais eu la moindre chance de faire plier une nation aussi fière et résiliente que la Russie. Dans le bras de fer avec la Chine que l’Europe ne pourra éviter, il vaut mieux avoir avec nous les Russes, qui sont de culture européenne.
A partir du 20 janvier 2017, qui marquera l’installation de Trump à la tête de l’Exécutif américain, les Etats-Unis adopteront une politique commerciale agressive. Le président élu a décidé de nommer Robert Lighthizer US Trade Representative. Cet avocat, qui sera à la tête d’une puissante agence comptant 200 professionnels, est un dur, prêt à utiliser l’arme du protectionnisme dans ses bras de fer bilatéraux. Sous Reagan, alors qu’il était le numéro 2 de cette institution, c’est lui qui avait réussi à casser le dumping japonais. Il est impossible pour la France de prétendre entamer seule une négociation commerciale avec des géants comme l’Amérique ou la Chine. Paris devra donc se servir de la Commission de Bruxelles comme d’un levier. N’oublions pas que cette dernière sut remettre à leur place Apple et Google !
Pour donner sens à cette construction européenne qui nous a tant profité, nous devrons, en 2017, concentrer nos efforts sur l’euro-zone, et militer en faveur des harmonies fiscale, budgétaire et sociale, sans lesquelles elle n’a aucune chance de fonctionner bien longtemps.
L’Europe apportera le levier financier indispensable à notre nouvelle politique africaine, destinée à aider nos partenaires à fixer sur leur sol leurs jeunes hommes et à contrôler leurs frontières.
Notre diplomatie moyen-orientale pourra en revanche se passer de Bruxelles, car elle consistera à jouer les intermédiaires sincères entre l’Iran et l’Arabie saoudite, dont la dangereuse brouille n’est pas fatale – dans les années 1995-2005, les deux puissances du Golfe entretenaient d’excellentes relations.
A condition d’y remettre du réalisme, de l’énergie et de l’imagination, la France pourrait sans grand effort se forger à nouveau une grande politique étrangère.