A travers ses élections primaires, le peuple américain a choisi les deux principaux candidats qui s’affronteront au scrutin à un tour du 8 novembre 2016, qui désignera le prochain président des Etats-Unis, pour un mandat de quatre ans. Savoir qui deviendra le chef de l’Exécutif de l’Etat le plus puissant de la planète nous concerne directement, nous les Français, nous les Européens, qui vivons pourtant très loin, de l’autre côté de l’Océan Atlantique. Quatre raisons, en tête de beaucoup d’autres. Premièrement, c’est l’Amérique qui conduit stratégiquement l’Otan, alliance militaire dont nous faisons pleinement partie. Deuxièmement, elle est le leader incontesté – sinon incontestable – de notre P-3, ce mini-groupe des trois membres permanents occidentaux au sein du Conseil de sécurité de l’Onu (qui compte quinze membres, dont cinq permanents disposant du droit de veto). Troisièmement, son dollar sert toujours de principale monnaie internationale de réserve et d’échanges. Quatrièmement, l’Amérique dispose d’un droit de veto de fait au Conseil d’administration du FMI (Fonds monétaire international), qui est l’institution de régulation économique et financière, que s’est donnée la planète après la seconde guerre mondiale.
Toute décision stratégique de l’Exécutif américain peut avoir un impact très important sur nous. Deux exemples. Bien que nous l’ayons politiquement combattue, la décision du président George W Bush d’envahir l’Irak en mars 2003 nous affecte encore aujourd’hui. Car l’Etat islamique est né puis a grandi sur le riche terreau du chaos qu’a provoqué cette invasion militaire occidentale en Mésopotamie. En septembre 2008, la même administration Bush a refusé de venir en aide à une banque en difficulté, qui était pourtant à l’époque le premier négociateur mondial de papier commercial. La faillite qui s’ensuivit a provoqué une crise financière sans précédent depuis 1929, laquelle s’est instantanément propagée à l’Europe, jetant des millions d’Européens au chômage.
Malheureusement pour nous, la sélection de l’Amérique pour sa présidentielle de 2016 ne semble pas d’aussi bonne qualité que celle qui avait vu, en 2008, le jeune sénateur démocrate Obama l’emporter sur le vieux sénateur républicain McCain. Soupesons, aussi sereinement que possible et avec notre balance française, les deux grands candidats.
Donald Trump ? Voici une candidature rafraîchissante : elle ne provient pas d’un appareil de parti mais du monde de l’entreprise; l’homme dit ce qu’il pense, sans être paralysé par les canons du politiquement correct. Quand il dit que l’Occident serait aujourd’hui plus sûr s’il n’avait pas tué Saddam Hussein et Mouammar Kadhafi, on ne peut pas lui donner totalement tort. De même quand il dit que, par son dumping, la Chine a commercialement abusé des Etats-Unis. De même quand il réclame davantage d’argent aux riches pays industrialisés bénéficiant d’une protection militaire américaine, comme l’Allemagne, la Hollande ou la Corée.
En revanche, sur la Russie, Trump est allé trop loin. Ce n’est pas le rôle d’un Américain briguant la présidence de son pays que d’approuver l’annexion de la Crimée par Moscou en mars 2014. On peut constater que la grande majorité des habitants de cette presqu’île sont prorusses (ce qui est vrai). On peut relever que Poutine n’a fait que rendre la monnaie de sa pièce à un Occident ayant, sans consultation du peuple serbe, arraché le territoire du Kosovo à la Serbie. On peut aspirer à une meilleure coopération stratégique, politique et économique entre Washington et Moscou ; on peut récuser la nécessité d’étendre toujours plus à l’est les frontières de l’Otan, mais quand on veut siéger à la Maison Blanche, on ne peut oublier que le prédécesseur et parrain politique de Poutine, Boris Elstine, avait signé, en décembre 1994, le mémorandum de Budapest, où la Russie se portait garante de l’intégrité territoriale de l’Ukraine.
Ce que Trump a dit sur la Crimée est un péché véniel par rapport à l’allusion qu’il fit sur les pays Baltes, membres de l’Otan, au même titre que l’Allemagne ou l’Italie. Il est très grave d’avoir insinué que les Etats-Unis ne rempliraient pas leurs obligations découlant de l’article 5 du Traité et ne se porteraient pas au secours de ces Etats, en cas d’agression russe. Trump a ainsi – sans le vouloir, sans le savoir ? – remis en cause un pilier de la politique extérieure américaine, datant de 1949.
Le problème que nous avons avec Trump tient aussi à son caractère. Il a montré dans sa campagne six traits qui ne nous disent rien de bon pour un homme aspirant à devenir le Commandant-en-chef de la plus puissante armée de la planète : sensibilité à la flatterie ; tendance à sur-réagir face à la moindre contrariété ; intuition préférée à la réflexion ; faible capacité d’écoute des autres en raison d’un ego surdimensionné ; mépris des faits ; incapacité à changer d’opinion sur un dossier en fonction d’informations nouvelles. Bref, Trump présente pour nous un risque de sécurité. Il est peut-être faible, mais c’est un risque que nous n’avons pas envie de prendre.
Avec Hillary Clinton, nous risquons moins de surprises, car, à la Maison Blanche, elle n’aura pas la santé de travailler beaucoup ; elle laissera faire la technostructure, et se contentera d’en arbitrer les conflits internes. Trump, c’est le danger d’une présidence forte mais fantasque. Avec Clinton, nous risquons une présidence faible et sans imagination. En politique étrangère, elle s’est trompée sur l’Irak (en 2003 et en 2010, car le retrait prématuré est une faute aussi grave que l’invasion inutile), et sur la Libye en 2011. Elle ne fera rien pour améliorer les relations entre l’Occident et Moscou, amélioration dont les Européens ont pourtant grand besoin. Pour sa diplomatie, elle est entourée de néo-conservateurs (ces illuminés qui privilégieront toujours la « démocratie » à la paix). Pour ce qui concerne sa future gouvernance économique et financière, Hillary Clinton est hélas beaucoup trop entre les mains des lobbies de Wall Street, mille fois plus que ne l’était Barack Obama.
Pour nous, Européens, le novembre 2016 américain ne sera pas un bon cru. Mais d’un mal peut toujours sortir un bien. Nous pouvons toujours anticiper et créer enfin un leadership européen capable d’en imposer à nos amis d’Outre-Atlantique.