En politique étrangère, rien n’est jamais acquis. L’amitié inconditionnelle entre Israël et les Etats-Unis semblait être une donnée définitive de la réalité moyen-orientale. Pourtant, le Premier Ministre Benjamin Netanyahu, qui n’a jamais aimé Obama, n’a plus une confiance absolue dans les Etats-Unis.
Pourquoi ? Tout d’abord, Washington a réintégré l’Iran chiite dans le jeu international, contre la volonté israélienne. Ensuite, lors des Printemps arabes de 2011, en lâchant d’un coup leur vieil allié, le Président égyptien Moubarak, Obama, et sa secrétaire d’Etat Hillary Clinton ont montré qu’ils n’étaient pas des alliés très fiables. Enfin, traumatisés par leur expérience irakienne et inquiets de la montée en puissance de la Chine, les Américains ont effectué un pivot stratégique, qui consiste à réduire leur engagement au Moyen-Orient pour se concentrer davantage sur la zone Asie-pacifique. Le principe clef de ce désengagement partiel est la règle du « rule from behind » qui consiste à tirer les ficelles du Moyen-Orient de loin, en déléguant au maximum à des acteurs locaux et en évitant tout envoi de troupes au sol. Si Hillary Clinton est élue le premier mardi du mois de novembre, cette politique continuera. Si c’est Trump qui l’emporte, le Moyen-Orient ne sera même plus géré à distance ; les Etats-Unis opteront pour l’isolationnisme et abandonneront la région à son sort.
Dans sa stratégie diplomatique – qui reste bien sûr seconde par rapport à l’impératif premier d’une capacité de défense autonome -, Netanyahu a donc décidé de ne plus tout miser sur l’alliance avec Washington et opté pour un plan B.
Ce plan B ajoute deux axes supplémentaires à celui du vieux partenariat stratégique avec les Américains. Le premier est de cultiver d’excellentes relations avec les pétromonarchies sunnites du Golfe, comme l’illustrent les réunions mensuelles à Amman, où se retrouvent les responsables des services de renseignement de la Jordanie, des Etats-Unis, d’Israël et de l’Arabie saoudite. Ces royaumes du désert sont les Docteurs Jekyll et Mister Hyde de la géopolitique : ils entretiennent secrètement de très bonnes relations avec Israël mais nourrissent au sein de leurs populations et diffusent à l’étranger une idéologie wahhabite, pour qui la destruction d’Israël est un devoir sacré. Le deuxième axe – de loin le plus significatif – est l’alliance de fait tissée entre l’Etat hébreu et la Russie, nouvel acteur incontournable au Moyen-Orient. Netanyahu, qui s’est rendu en juin 2016 pour la troisième fois en Russie en dix mois, a compris qu’en matière d’alliances, il ne faut jamais mettre tous ses œufs dans le même panier.
Les liens entre Israël et la Russie sont anciens. La population juive était très importante dans la Russie tsariste et soviétique. L’URSS fut le premier Etat à reconnaître Israël. Aujourd’hui, du fait de l’immigration des Juifs russes, le russe est la deuxième langue la plus parlée par les Juifs israéliens, et on trouve des radios et des journaux israéliens en langue russe. La communauté russe est la seconde communauté en Israël (derrière la communauté arabe) et beaucoup de ses membres possèdent la double nationalité. Grâce à cette alliance russe, Israël espère que la Russie pourra calmer les ardeurs de son ami iranien et compte mener une fructueuse coopération contre l’ennemi commun qu’est le djihadisme sunnite.
En plus de cela, les Israéliens ont accepté la main tendue du Président Erdogan et renoué avec la Turquie avec qui ils étaient brouillés depuis 2010. En ce qui concerne l’Iran, les Iraniens n’ont aucune intention de détruire Israël, mais le discours anti-israélien de Téhéran sert les intérêts des deux parties. En étant la cible des discours iraniens, Israël peut brandir cette menace pour unir sa population, obtenir de nouvelles fournitures d’armes des Etats-Unis et atténuer les pressions internationales en ce qui concerne le sort des Palestiniens dans les Territoires occupés, reléguant la question palestinienne au second plan. Les chiites ne constituant que 15% de la population musulmane sur la planète, fustiger Israël permet à l’Iran chiite de s’acheter une popularité à bon compte auprès d’une partie des masses sunnites.
En plus de son armée – de loin la meilleure du Moyen-Orient – et de ses alliances, Israël peut compter sur son exceptionnelle réussite économique, basée sur le développement scientifique et technologique. Couronné du taux de diplômés universitaires le plus élevé du monde, Israël est devenu l’un des trois grands hubs des nouvelles technologies, avec la Californie et la zone Corée-Japon. L’Etat juif compte de loin le nombre le plus élevé au monde de publications scientifiques par habitant ainsi que l’un des taux les plus élevés de brevets déposés. Israël compte le plus grand nombre de Start up au monde par rapport à sa population. Ce succès a inspiré un livre, Israel, nation start-up. Selon les auteurs, Dan Senor et Saul Singer, Israël n’est pas « seulement un pays » mais aussi un état d’esprit. Depuis l’indépendance en 1948, c’est la spontanéité, la détermination et la prise de risques qui caractérisent l’histoire du pays. Une politique audacieuse d’intégration des immigrants juifs, le recours à la conscription pour la défense du pays, des ministères tournés vers la Recherche et Développement, le culte de l’esprit critique, le pragmatisme et le goût du raisonnement systématiquement encouragés dans les universités, tout cela a rendu la société israélienne particulièrement adaptée aux défis du XXIème siècle.
Mais l’intelligente stratégie diplomatique de Netanyahu bute sur un obstacle : l’éternelle question palestinienne. On en a reparlé à l’occasion du meurtre au couteau d’une jeune fille israélienne de 13 ans, dans son sommeil, le jeudi 30 juin 2016, par un terroriste palestinien de 17 ans, dans la colonie juive de Kyriat Arba. Israël a-t-il vraiment intérêt à conserver ces Territoires arabes, occupés par son armée, depuis sa victoire dans la Guerre des Six Jours de 1967 ? Le pari de Netanyahu est-il que les Palestiniens, dégoûtés, finiront par partir et qu’en attendant Israël doit jouer la montre et rester intransigeant, afin de récupérer un jour l’intégralité de la Palestine mandataire comme territoire internationalement reconnu de l’Etat hébreu ? Mais les Palestiniens ne partiront pas ; ils savent que s’ils restent, c’est pour eux que le temps travaillera, du fait d’une natalité plus élevée. Face à la bombe démographique arabe, qui menace l’Etat juif dans son existence même, Netanyahu doit se montrer stratège jusqu’au bout. Il devrait avoir deux objectifs : l’intégration politique et commerciale d’Israël à sa région ; et la reconnaissance d’un Etat palestinien comprenant Gaza et la Cisjordanie (22% du territoire de la Palestine mandataire), quitte à procéder à quelques échanges de territoires pour rattacher à Israël les trois blocs de colonies les plus importants. Il devrait montrer du courage politique et reprendre à son compte le projet de Rabin à Oslo (1993), qu’il avait, en son temps, outrageusement critiqué.