La simple route empruntée par un navire peut parfois revêtir une importance stratégique. C’est ce qui s’est passé, le samedi 30 janvier 2016, en mer de Chine méridionale, au large d’une minuscule île, répondant au doux nom de Triton, qui vit passer un navire de guerre américain. C’est exprès que la marine américaine avait ordonné à son destroyer lance-missiles USS Curtis Wilbur, habituellement basé à Yokosuka (Japon), de longer, à l’intérieur de la limite des douze milles nautiques des eaux territoriales, cet îlot corallien des Paracels. Cet archipel de 250 îlots, inhabité jusqu’en 2013, situé à égale distance de la base vietnamienne de Danang et de l’île chinoise de Hainan, est réclamé à la fois par le Vietnam, la Chine et Taiwan. En s’installant depuis peu par la force – et en construisant notamment une piste d’atterrissage sur Triton -, la Chine populaire a créé un fait accompli pour s’en arroger la souveraineté. Elle prétend que Triton est aussi chinois que Shanghai ou Hong Kong et que s’y appliquent donc les règles régissant les eaux territoriales et les zones économiques exclusives (200 milles des côtes). En y faisant passer un navire de guerre sans notification préalable, le Pentagone a voulu montrer l’importance qu’il attachait au respect du principe de la liberté de navigation. Pékin a protesté. En vain.

Les Etats-Unis considèrent à raison qu’il est contraire au droit de la Mer de s’emparer de récifs jusque-là inhabités et d’y aménager des installations militaires, afin de s’arroger des privilèges nouveaux, géostratégiques ou économiques. Au printemps 2014, la marine chinoise était même allée jusqu’à couler un navire vietnamien qui pêchait dans les eaux de l’archipel des Paracels, fréquentées depuis des siècles par les pêcheurs vietnamiens. La Zone économique exclusive (ZEE) que tente de s’arroger la Chine sur son flanc sud par sa politique d’aménagement militaire des récifs coralliens est une caricature d’expansionnisme maritime. Parce qu’elle s’étend également à l’archipel des Spartleys, beaucoup plus au sud, cette ZEE chinoise ne se contente pas de lécher, sur une mappemonde, le littoral vietnamien ; elle vient aussi frôler les rivages des Philippines, de Brunei, de la Malaisie. Les Philippines ont saisi la Cour arbitrale de La Haye de son différend avec la Chine sur les Spartleys. Laquelle s’est déclarée compétente au milieu de l’automne 2015. Mais les autorités de Pékin ont déjà dit qu’elles ne respecteraient pas la juridiction de la Cour, ce qui a conduit le président philippin à comparer la Chine à l’Allemagne nazie.

Cette tension permanente en mer de Chine relève d’un problème plus large, qui est l’absence de gouvernance sur les océans. Ils représentent deux tiers de la surface de la terre, mais ils ne sont gérés par aucune instance internationale. C’est un immense bien commun de l’humanité, juridiquement condamné à un mélange d’anarchie et de loi du plus fort.

Les Océans sont devenus la poubelle des nations vautrées dans la société de consommation. Dans le Pacifique Nord, l’accumulation des déchets plastique balayés par les courants marins ont abouti à la création de deux zones de déchets si grandes, qu’on les compare à un septième et à un huitième continent. On estime à 7 millions de tonnes la masse de plastiques concentrés au sein des océans, dont environ 270000 tonnes de déchets plastiques flottants. Le plastique a le double inconvénient de se dégrader très lentement et d’être un poison pour les microplanctons. Les gouvernements des pays industrialisés, y compris le gouvernement chinois, commencent à se préoccuper de la qualité de l’air respirés par leurs sujets. En revanche aucun Etat, aucune organisation internationale ne prend en charge la lutte contre la pollution de nos océans. Dans un passé récent, les grandes puissances maritimes ont su s’unir pour venir à bout de la piraterie au large de la Somalie. Pourquoi n’y parviendraient-elles pas sur des urgences environnementales ?

La marine américaine est de loin la première du monde. On lui sait gré de garantir pour nous la liberté de navigation, sur toutes les mers, et à travers tous les détroits. On aimerait même qu’elle en fasse davantage, qu’elle s’attaque au problème de la surpêche, et qu’elle traque les opérations de dégazage polluant en haute mer. Qu’on le veuille ou non, les Océans ont besoin d’une police et, pour le moment, seule la marine américaine a les moyens de la faire. On se prend à rêver : dans quel état seraient nos mers aujourd’hui si George W Bush, au lieu d’envahir inutilement l’Irak, avait décidé de mettre la même somme d’argent à les policer ? La France, qui fut à l’origine de la Convention du droit de la Mer de 1982, devrait aussi accroître ses efforts, ne serait-ce que pour assurer un meilleur contrôle de sa ZEE de 11 millions de km2, la deuxième de la planète. Accroître les moyens de notre marine nationale est devenu pour nous une urgence, autant morale qu’économique.

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