Dirigeant d’un pays dont le littoral est soumis depuis trois ans au drame de l’afflux des migrants, le Premier ministre d’Italie a, le 30 août 2015, solennellement interpellé ses partenaires de l’Union européenne. Matteo Renzi a proposé la création d’un droit d’asile européen, assortie de l’institution d’un statut de réfugié politique propre à l’Europe unie. Le Président du Conseil des Ministres italien a fait là une proposition de bon sens. Il est évident qu’il est injuste de faire porter, dans un premier temps, aux seuls pays riverains de la Méditerranée, le poids de mouvements de populations aussi extraordinaires. Pour ce qui concerne l’Italie, il faut se souvenir que son ministre des affaires étrangères avait, en mars 2011, mis en garde la France et la Grande-Bretagne sur le risque qu’elles prenaient en voulant faire la guerre au régime de Kadhafi, dictature qui parvenait, au Sahel, à contenir l’expansion de l’islamisme et la prolifération des réseaux de trafiquants d’êtres humains.
Dans l’histoire contemporaine, le concept de droit d’asile est né avec la Révolution française. La jeune République proclamait qu’elle accueillerait sur le sol français toutes les personnes persécutées chez elles pour avoir défendu les principes de la Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen. Le droit d’asile européen préconisé par M. Renzi devra-t-il obéir aux mêmes conditions sélectives, strictement politiques ? Devra-t-il être réservé aux défenseurs avérés des valeurs européennes ayant été persécutés pour cela, ou sera-t-il étendu aux familles recherchant – fort légitimement – un meilleur avenir économique pour elles et leurs enfants ? La question se pose cruellement car une bonne partie des migrants ont un objectif principalement économique lorsqu’ils se lancent dans leur grand exode terrestre ou maritime.
Prenons l’exemple de la Syrie. On peut comprendre que les chrétiens, qui fuient les exactions de l’Etat islamique ou craignent une victoire militaire de ce dernier à brève échéance, cherchent à venir en Europe, afin d’y élever leurs enfants dans la religion de leurs ancêtres. Mais les gros bataillons de réfugiés syriens sont des musulmans sunnites, qui fuient soit la barbarie de Daech, soit les bombardements indiscriminés de l’armée syrienne. Pourquoi ces musulmans sunnites ne s’arrêtent-ils pas en Turquie, pays qui partage leur religion, qui se trouve en paix, et qui connaît une forte croissance économique ? Ils ne s’arrêtent pas sur le territoire de M. Erdogan, car ils savent que les aides sociales et les salaires qu’ils recevront au nord de l’Europe seront bien supérieurs. La réalité est que l’Europe, qui est encore riche – en partie grâce à sa capacité à continuer de s’endetter -, fonctionne comme un formidable appel d’air. Auprès de tous les miséreux d’Afrique et du Moyen-Orient, que leurs pays soient en paix ou non.
La question devient alors : l’Europe a-t-elle encore les moyens d’accueillir « toute la misère du monde » ?
A entendre Angela Merkel, la réponse est « oui, nous avons encore les moyens d’accueillir des centaines de milliers de migrants ». La fille de pasteur a montré qu’elle avait bon cœur. Mais, en disant cela, la chancelière d’Allemagne, n’a-t-elle pas fait preuve d’irénisme politique ? S’il y a peut-être, en Allemagne, des capacités d’embauche, dans l’industrie ou dans les services, pour ces centaines de milliers de migrants ayant atteint l’âge adulte, ces capacités n’existent assurément ni en Italie, ni en Espagne, ni en France, pays incapables d’offrir des emplois à leurs propres jeunes se présentant sur le marché du travail. En matière de prestations sociales, ces Etats latins, fortement endettés – bien au-delà des critères qu’ils s’étaient eux-mêmes fixés à la fin du siècle dernier – ne disposent plus de la moindre marge de manœuvre financière.
De l’argent, il n’y en a plus. L’Union européenne pourrait certes demander aux Etats-Unis des compensations financières pour les dégâts commis par l’idéologie néoconservatrice dans les Etats limitrophes du continent européen. Cette idéologie, qui a cassé les régimes en place, est celle qui a dit aux Irakiens et aux Soudanais : « nous savons mieux que vous ce qui est bon pour votre bonheur ». En conséquence on vous impose une démocratie électorale (qui a viré au tribalisme confessionnel en Irak) ou une partition du pays (qui a viré à la guerre interethnique au Sud-Soudan). Mais, faible et servile, l’UE n’imagine même pas demander poliment aux Américains de partager avec elle le fardeau de leurs erreurs.
Il y a, dans le discours de Mme Merkel, une deuxième trace d’irénisme. Elle semble voir l’homme comme un être exclusivement économique. La réalité est que c’est avant tout un être culturel. Pourquoi avons-nous connu des émeutes de banlieues en Suède, pays pratiquement dépourvu de chômage ?
A l’évidence, l’Europe n’a pas encore réussi la pleine intégration sociale et culturelle de ses musulmans issus de l’immigration économique des années 1960. L’appel d’air actuel participe d’un mouvement d’islamisation de l’Europe qui est , à terme, très dangereux pour la stabilité du continent. Il est curieux que Mme Merkel se refuse à le constater.