A la dernière conférence des ministres des affaires étrangères du G-7 (forum créé en 1975 pour réunir les sept pays les plus industrialisés du monde libre), qui s’est tenue à Lucques les 10-11 avril 2017, le ministre italien a rappelé à ses homologues un théorème diplomatique éprouvé par l’Histoire : on ne parle pas avec la Russie à coups d’ultimatums. Aux journalistes, Angelino Alfano a dit : « nous aurions tort d’isoler la Russie. Sur le conflit syrien, nous n’avons pas d’autre solution que dialoguer avec la Russie car, sans elle, nous n’avons aucune chance de pouvoir un jour le régler ». Les anglo-saxons étaient arrivés en Toscane avec la volonté de menacer la Russie de nouvelles sanctions. Leur idée du rapport avec Moscou était de lui lancer un ultimatum : ou bien vous êtes avec nous et tout ira bien ; ou bien vous êtes avec Bachar et nous vous imposerons des sanctions. Mais une telle politique a été finalement rejetée par leurs alliés européens et japonais.

Reçu au Kremlin le 12 avril, le Secrétaire d’Etat américain a pu entendre la principale récrimination de la Russie à l’égard des Etats-Unis. Aux yeux des Russes, l’Amérique n’a aucun droit à s’ingérer dans la politique intérieure des autres pays du monde et à y organiser, par son argent ou sa force militaire, des « changements de régime ». La frappe américaine du 7 avril sur une base aérienne syrienne n’avait pas de grande portée militaire. Mais c’est son symbole qui a énervé Poutine. Il refuse à l’Amérique ce rôle de shérif du monde qu’elle s’attribue parfois. Les choses ont beaucoup changé depuis la guerre du Kosovo du printemps 1999 – époque où le tsar s’appelait encore Eltsine. Le chef du Kremlin n’est plus disposé à excuser l’Amérique quand elle sort son revolver sans en demander l’autorisation préalable du Conseil de sécurité de l’Onu.

Il est vrai que ce message russe aurait davantage de portée auprès des opinions publiques occidentales, si Poutine n’avait pas lui-même, en 2014, dégainé deux fois son Tokarev – sans appuyer sur la détente au mois de mars en Crimée, mais en le faisant en juillet au Donbass ukrainien.

Ridicule est donc toute vision manichéenne des Relations internationales, qui verrait en la Russie la sainte vestale de la diplomatie, et en l’Amérique le général félon que n’arrêterait aucun Rubicon.

Mais, pour traiter avec la Russie, encore faut-il bien la comprendre. Sa politique étrangère, toujours élaborée de sang-froid, n’est jamais le fruit d’une émotion, fût-elle médiatique. Sa diplomatie vise le moyen ou le long-terme, jamais le court-terme. Quatre grands principes la fondent.

Le premier est le principe d’indépendance. Rien n’est plus important pour les Russes que de rester maîtres de leur destin, en toutes circonstances. Ils acceptent parfois les conseils, mais jamais les instructions. « L’indépendance, dans le monde d’aujourd’hui, c’est un luxe que peu d’Etats peuvent se payer », a déclaré Poutine en 2012.

Le second principe diplomatique de la Russie est celui son intérêt national, qui est de créer les meilleures conditions pour son développement. Elle ne se conçoit pas comme une forteresse. Elle se voit comme une partie de la civilisation euro-atlantique, et aspire à y être traitée sans privilège, mais sans condescendance. En février 2000, le nouveau maître du Kremlin avait reçu le ministre français des affaires étrangères. Poutine ne voulut rien entendre sur la guerre – fort brutale – qu’il menait en Tchétchénie (république caucasienne appartenant à la Fédération de Russie) ; mais il étonna Hubert Védrine par son souhait de construire un espace juridique commun entre la Russie et l’Union européenne.

Troisième pilier : l’impératif de la sécurité nationale. La Russie se méfie des armées venues de l’ouest, qui l’ont si souvent envahie. Elle reproche à l’Occident de ne pas avoir honoré la promesse de non-extension de l’Otan vers les frontières russes que Kohl fit à Gorbatchev en février 1990 (afin d’obtenir le retrait des forces russes du territoire de l’Allemagne de l’Est). Elle apprécie qu’il y ait des Etats-tampons entre son territoire et les puissances occidentales. Elle n’est pas prête à ce que l’Otan s’installe en Biélorussie ou en Ukraine. Elle gardera toujours ses armes nucléaires, car elle n’a plus assez de forces conventionnelles pour garder un territoire grand comme 26 fois la France.

Enfin, la Russie est attachée à l’Onu. Elle reproche aux puissances occidentales de se présenter au Conseil de sécurité avec des motions à prendre ou à laisser, sans accepter de négocier à l’ancienne, c’est-à-dire en faisant des concessions.

Le travail de réintégration de la Russie dans la famille européenne prendra du temps. Mais la première étape reste de la comprendre, en analysant patiemment les fondements de sa stratégie.

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