Dans ce premier tour de l’élection présidentielle 2017, seulement 50% des Français ont donné leurs suffrages à des candidats pro-européens. Nous sommes à deux doigts d’un grand divorce idéologique entre l’électorat de la France et toute son histoire politique d’après-guerre. Après tout, les fondements de l’Europe politique ne sont-ils pas l’œuvre de deux Français, Jean Monnet et Robert Schuman ? Le général de Gaulle n’a-t-il pas lui-même accéléré l’application des dispositions du traité de Rome ? L’euro n’est-il pas le fruit des efforts de deux présidents français, l’un de droite (Giscard), l’autre de gauche (Mitterrand) ? En utilisant avec sang-froid les leviers européens, n’est-ce pas un président français (Sarkozy) qui a réussi, à l’automne 2008, à encaisser le choc d’une terrible crise financière venue des Etats-Unis ?
Dans son discours du 23 avril 2017, Emmanuel Macron a promis aux Français de rénover l’Union européenne (UE). Il a eu raison car il y a urgence. C’est la toute dernière chance pour la France et l’UE. Si l’Europe politique et monétaire ne parvient plus à leur offrir une valeur ajoutée clairement décelable, les citoyens français finiront par la rejeter, comme l’ont fait les Britanniques en juin 2016. Et le départ de la France provoquerait, presque à coup sûr, la mort de l’UE. Ce qui constituerait, pour notre continent, sa plus grave régression politique depuis la fin de la seconde guerre mondiale.
Emmanuel Macron est jeune, comme les généraux de Napoléon Bonaparte. Il en a aussi la chance. Lors de sa grande session annuelle de printemps, qui s’est tenue à Washington les 21-23 avril 2017, le FMI a pris une orientation importante, qui pourrait aider l’UE à mieux défendre ses citoyens. La principale institution financière de la planète a appelé à passer de l’ère du free trade (libre-échange) à celle du fair trade (commerce équitable). Il s’agit d’une révolution dans le domaine des échanges internationaux de biens et de services. Le libre-échange, c’est l’absence de toute barrière tarifaire. Le commerce équitable, c’est la prise en compte des processus de production dans les différents pays exportateurs. Il est anormal qu’un producteur français ou allemand de panneaux solaires photovoltaïques soit directement concurrencé par un producteur chinois qui ne paierait aucune charge sociale, qui ferait travailler ses ouvriers soixante heures par semaine, qui ne respecterait aucune norme environnementale. L’idée de mettre une TVA sociale spécifique sur ces produits importés est la bonne. La division internationale du travail et son corollaire, le libre-échange, sont de bonnes choses pour l’humanité. Mais la moindre des exigences est de prélever une taxe spécifique sur les marchandises fabriquées par les exploiteurs et les pollueurs. Cette taxe doit être prélevée à l’entrée du marché unique européen. Son produit doit financer la rénovation des grandes infrastructures de l’Europe. Pourquoi se priver d’un protectionnisme européen intelligent et sélectif ? Si une concurrence absolue est bien respectée entre producteurs membres de l’UE, sa vertu sera suffisante pour éviter la constitution de rentes monopolistiques indues.
Les réformes à faire en Europe ne se limitent pas à cela. Il faut doter la zone euro d’un secrétariat général qui lui soit propre, afin d’y réaliser les harmonisations fiscale, budgétaire et sociale sans lesquelles aucune zone monétaire ne peut survivre bien longtemps. La Commission doit être réduite à douze membres maximum, pour permettre un réel processus de décision collégiale. Le Parlement européen, dans sa forme actuelle, doit être supprimé : il coûte cher en fonctionnement ; aucun citoyen européen ne lui attache d’importance ni ne se sent représenté par lui ; il n’est qu’une maison de retraite pour politiciens ayant échoué chez eux ; il est vulnérable face à tous les lobbies industriels et financiers. Soyons sérieux : une seule chambre (un Conseil des ministres votant à la majorité qualifiée) suffit pour bien examiner et adopter les directives européennes (dont la Commission a le monopole de l’initiative). C’est à tort que Giscard et Schmidt ont cru que, grâce à ce Parlement européen, ils allaient « démocratiser » l’Europe.
Enfin, les frontières Schengen doivent être respectées. Assez de ce trafic lucratif d’êtres humains, où les trafiquants mènent leurs embarcations surchargées à 12 miles des côtes de la Libye, les coulent, puis lancent un SOS à la marine italienne !
Il n’y a aucune raison pour que l’UE ne retrouve pas le progrès qui a jalonné ses cinquante premières années. Encore faut-il que la France applique à elle-même les règles qu’elle a lui a imposées, et que, dans un deuxième temps, elle s’arrange avec l’Allemagne pour en réformer de fond en comble les institutions.