Dans l’Afrique des grands lacs, le calme de paysages très verts et de collines joliment ondulées cache souvent, au voyageur étranger, l’existence camouflée de dangereux volcans non éteints. Ces volcans, dont les éruptions sont imprévisibles et soudaines, n’ont rien de géologique : ils sont humains.

C’est une région où de simples confrontations politiques peuvent très rapidement déraper en violences urbaines, et ces violences dégénérer en affrontements ethniques généralisés. Souvenons-nous du Rwanda de 1994, où la frustration politique de la population s’était transformée successivement en peurs, puis en haines, puis en violences, puis en massacres. Perpétré d’avril à juin 1994, le génocide commis par la majorité hutue contre la minorité tutsie avait fait quelque 700000 morts.

Lundi 9 novembre 2015, les forces de sécurité burundaises ont commencé à ratisser certains quartiers de la capitale Bujumbura, acquis à l’opposition au régime du président Pierre Nkurunziza, qui vient de se faire réélire pour un troisième mandat, après avoir tordu le bras à la Constitution. Cet ancien chef de guerre d’un maquis hutu avait lancé un ultimatum se terminant ce lundi-là, enjoignant aux opposants de rendre leurs armes en échange d’une amnistie. Nkurunziza n’est pas le premier chef d’Etat africain à avoir changé la constitution pour rester au pouvoir plus longtemps. Par ailleurs, il est tout à fait normal qu’un Etat n’accepte pas que des armes de guerre circulent au sein de la population civile.

Alors, le président du Rwanda, pays voisin et jumeau, a-t-il inutilement sonné l’alarme en déclarant publiquement, le 8 novembre 2015, que la situation prévalant aujourd’hui à Bujumbura lui rappelait celle de Kigali dans les premiers mois de 1994 ? Paul Kagamé, grand chef de guerre tutsi, despote peu éclairé politiquement mais remarquablement efficace économiquement au Rwanda, est tout sauf un saint. Mais force est de reconnaître que son jugement sur la situation au Burundi n’est pas sans fondements.

Trois éléments nous portent à être très inquiets aujourd’hui pour l’avenir immédiat de ce petit pays, chrétien, enclavé et agricole de dix millions d’âmes qu’est le Burundi. Le premier tient à la personnalité de Pierre Nkurunziza. Il ne semble pas avoir surmonté une blessure personnelle très profonde : il a huit ans quand son père, parlementaire puis gouverneur d’une province, est assassiné par l’armée tutsie en 1972, dans le cadre de massacres qui firent plus de 100000 morts. Avant l’indépendance et dans les premières années qui la suivent, l’élite tutsie s’apparente à une aristocratie, déployée autour du roi, et détenant les principaux leviers du pouvoir. Dans ces deux pays jumeaux, où le sang a beaucoup coulé depuis le départ des Belges, il est rare de trouver un homme politique qui n’ait pas eu un parent décédé de mort violente. Mais tout responsable de haut niveau doit surmonter une telle blessure s’il veut administrer ses compatriotes avec équité. Il ne semble pas que ce soit le cas de Nkurunziza. Avant de signer les accords de paix d’Arusha du 29 août 2000 (initiés par Nelson Mandela et qui mirent fin à une atroce guerre civile commencée en 1993 après l’assassinat du président hutu démocratiquement élu par des officiers tutsis), Nkurunziza avait été un chef de maquis hutu extrêmement violent. Sans pardon sincère, aucune paix civile n’est jamais possible.

Le deuxième élément incitant à l’inquiétude est l’indifférence marquée par une bonne partie des classes populaires burundaises pour l’établissement d’une démocratie moderne, c’est-à-dire respectueuse des droits de toutes les minorités, qu’elles soient politiques ou ethniques. En 2014, l’opposition faisait campagne sur trois thèmes irréprochables : la volonté d’un scrutin présidentiel de qualité ; la lutte contre la corruption, l’établissement d’un Etat de droit. La soudaine décision de Nkurunziza de briguer un troisième mandat va interrompre cette belle dynamique.

Mais l’élément le plus inquiétant est qu’une logique du bouc émissaire est en train de se mettre en place au Burundi. Les ratissages ordonnés par le pouvoir visent principalement des quartiers tutsis. Quelle en est la raison, quand on sait que l’opposition comptait davantage de hutus que de tutsis dans ses rangs ? Le régime souhaite en réalité ethniciser un conflit au départ politique. C’est cela qui est très dangereux. Les discours enflammés et fanatiques du président du Sénat du Burundi rappellent presque le ton de mars1994 de la radio rwandaise Mille Collines. A Bujumbura, les agissements des milices de jeunes pro-régime Imbonerakura rappellent les Interhamwe de Kigali de sinistre mémoire.

Les deux pays les plus puissants en Afrique, les Etats-Unis et la France, ne doivent pas reproduire leurs atermoiements de 1994. Ils doivent se tenir prêts à intervenir pour prévenir, à la racine, tout dérapage génocidaire.

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