La très grosse et très intelligente banque d’affaires américaine Goldman Sachs ne s’est pas, au début de notre millénaire, seulement illustrée par son maquillage réussi des comptes publics de la Grèce auprès de Bruxelles. Elle a aussi inventé et popularisé le mythe des BRICS, ces grands pays rivaux de l’Occident, qui allaient très bientôt faire la loi économique sur la planète. L’idée était que, couplée avec l’adoption d’un libre-échangisme mondial, la libéralisation des structures de production et d’échange au Brésil, en Russie, en Inde, en Chine, allait provoquer une progression foudroyante de l’importance économique de ces pays, dits « émergents ». C’est ce qui s’est passé. Le PNB cumulé des BRICS représentait 15% du PNB mondial au début du millénaire. Il en représente 27% aujourd’hui. L’Afrique du Sud n’a été ajoutée à ce petit club select que pour des raisons politiques, afin que le Continent Noir y soit représentée. Car la puissance économique réelle du pays de M. Zuma est bien inférieure à celle de pays comme la Turquie, la Corée du Sud ou le Mexique.

Les chiffres étant là, pourquoi, alors, parler d’un « mythe » ? Le mythe fut en fait double. Premièrement, on nous a présenté les émergents comme des pays dotés d’une croissance radieuse. Deuxièmement, on nous a fait croire que ce petit groupe représentait un bloc comparable à celui de l’Union européenne ou à celui des Etats-Unis d’Amérique.

Lorsqu’elle existe encore, cette croissance est tout sauf radieuse. La Chine vient de connaître un accident industriel qui en dit long sur le mépris montré par les autorités « communistes » envers l’environnement, depuis la course frénétique à l’enrichissement individuel lancé par Deng Xiaoping au début des années 1980. Le 12 août 2015, la ville de Tianjin subissait de très violents explosions, provenant d’entrepôts contenant du cyanure d’hydrogène. 200 morts, 700 blessés, 6000 déplacés. Aucun respect des protocoles obligatoires régissant le stockage des produits dangereux ; aucune compétence au sein du service public des pompiers. Dans la Chine régie par un parti qui se dit « communiste », l’intérêt commun des petites gens passe toujours après celui des « princes rouges », ces descendants des compagnons de Mao qui ont fait main basse sur le pouvoir et l’argent. Quand on vit à Pékin, ville où le soleil disparaît si souvent sous des couches de pollution, capitale où la police peut vous déchirer votre passeport sous le premier prétexte venu, on se dit que, décidément, le produit national brut n’a rien à voir avec le BNP (bonheur national brut). Quand un Chinois devient très riche, il n’a plus qu’une obsession en tête : acquérir la nationalité australienne. Car, pour protéger ses actifs et pour éduquer ses enfants, l’entrepreneur chinois a plus confiance dans le gouvernement de Canberra que dans le sien. L’avenir de la Chine est plus incertain que celui des Etats-Unis. Elle n’est pas à l’abri d’une soudaine implosion politique ou d’un grand mouvement de panique financière. Contrairement à l’Amérique, la Chine ignore, dans le domaine politique, les contre-pouvoirs (« checks and balances ») ; et fait peu de cas, dans le domaine économique, d’un sqystème transparent de comptabilité. Les grandes banques chinoises sont-elles remplies de créances douteuses ? Personne ne le sait, faute de rapports annuels transparents, exacts et compréhensibles.

La Russie va entrer en récession. La raison n’en est pas seulement la baisse du cours mondial du pétrole. Il y aussi la politique aventureuse que les « silovikis » (les représentants des ministères de force) ont poussé le Kremlin à suivre envers l’Ukraine. Poutine a cru ses camarades du KGB quand ils lui dirent que l’annexion du Donbass se passerait aussi bien que celle de la Crimée. Ce ne fut pas le cas et la Russie est aujourd’hui pénalisée par des sanctions commerciales et un énorme fardeau social à l’ouest du Don.

Le Brésil est tombé dans une période de croissance très faible et de contestation politique très forte. A cause des ravages de la corruption, le modèle social-démocrate imaginé par Lula ne prend plus auprès des classes moyennes.

En Inde, pays où la croissance faiblit également, le montant annuel des investissements étrangers a chuté de 27%. Même le groupe Arcelor Mittal vient de renoncer à investir dans le pays natal de son fondateur ! La faute en est à une bureaucratie pléthorique, paresseuse et envieuse, qui freine les projets novateurs.

Diplomatiquement, le groupe des Brics, qui s’est réuni en sommet à Oufa (Russie) le 8 juillet 2015, prétend influencer les affaires du monde. Mais ce n’est qu’une apparence : la Russie et la Chine tentent de faire jeu commun, tandis que les trois autres puissances refusent de se détacher de l’Amérique.

Le mythe des BRICS s’est terni. Car les Etats émergents ont sacrifié sur l’autel du profit les deux ingrédients de toute société humaine solide : le respect de l’Etat de droit et le maintien d’écarts de revenus raisonnables, fondés sur le seul mérite.

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