Grand-Bassam, Bruxelles, Lahore. L’Afrique, l’Europe, l’Asie. En l’espace de deux semaines, les islamistes sunnites ont réussi à répandre leur terreur sur trois continents. Idéologiquement, ce sont des takfiris. Ces musulmans n’acceptent que la lecture la plus littérale et intolérante du Coran et des hadiths (faits, gestes et paroles du Prophète et de ses proches, transmis par ses nombreux compagnons, et qui forment un corpus de gouvernance personnelle et collective). Ils sont disciples du jurisconsulte puritain Ahmad ibn Hanbal (Bagdad 780-855), qui refuse toute interprétation libre des textes sacrés et qui a validé un hadith du Prophète disant « la colonne de l’islam, c’est la prière ; le sommet de l’islam, c’est le djihad ». Ce mot de djihad, ils ne l’entendent pas comme effort sur soi-même pour parvenir à la sainteté, mais comme combat militaire contre tous les infidèles. Ils n’hésitent pas à s’attaquer aussi aux musulmans qu’ils jugent mécréants, et qu’ils frappent d’anathème (takfir signifiant littéralement infidélisation). A leurs yeux, les chiites sont des apostats, qu’il faut tuer dès qu’on en rencontre.

Le combat de ces djihadistes était au départ régional, car lié à des problématiques politiques locales (Egypte, Palestine, Algérie, Afghanistan, Syrie, etc.) Aujourd’hui, leur combat se mondialise. On assiste donc à l’envol d’un grand conflit asymétrique mondial. Pourquoi « asymétrique » ? Parce qu’il s’agit très souvent de groupes clandestins s’attaquant, avec les moyens du bord, aux Etats constitués. L’Etat islamique du calife Ibrahim a certes dépassé le stade de la simple organisation armée clandestine. Il dispose d’un territoire (l’est de la Syrie et l’ouest de l’Irak), d’une capitale (Mossoul), d’une justice appliquant son propre droit (la charia), d’une administration, d’un service fiscal, d’une armée, en partie mécanisée. Mais la guerre qu’il mène est redevenue asymétrique. Car après s’être battu contre des armées ou des milices locales comparables à lui, il s’est fait des ennemis beaucoup plus puissants militairement que lui (Etats-Unis, Russie, France, Grande-Bretagne). La reprise de Palmyre par l’armée syrienne avec l’appui de l’aviation russe, effective le 27 mars 2016, sonne-t-elle le début de la fin pour le califat d’Ibrahim al-Baghdadi ? Oui si les Américains fournissent, auprès de l’armée irakienne, les mêmes efforts que les Russes ont fourni auprès de l’armée syrienne et si le gouvernement de Bagdad parvient à mobiliser les tribus sunnites en sa faveur.

Mais l’éventuelle défaite du califat à Rakka (Syrie) et à Mossoul (Irak) en 2016 ne signifiera pas la fin idéologique de Daech, comme la chute de Berlin avait signifié, en 1945, la fin du national-socialisme. Pour trois raisons. Premièrement, le terreau religieux du takfirisme, alimenté par le wahhabisme saoudien, persistera à travers le monde arabo-musulman. Deuxièmement, nombreux sont les combattants internationalistes de Daech (qu’ils soient issus des pays musulmans ou de l’immigration musulmane en Europe) qui parviendront à s’échapper de ce piège, soit en cinglant vers de nouveaux sanctuaires (la Libye par exemple), soit en retournant chez eux discrètement. Les soldats d’Hitler capitulèrent en uniformes. Les djihadistes modernes ne portent pas d’uniforme et ils ne capituleront pas. Ils préfèrent la mort à la capitulation.

Dans ce conflit mondial contre l’islamisme, l’asymétrie est loin d’être toujours en faveur des Etats occidentaux. Ces derniers disposent d’armes très puissantes. Mais à quoi peuvent servir les porte-avions, les chars lourds et les chasseurs-bombardiers contre d’insaisissables cinquièmes colonnes ? On fait patrouiller des chasseurs-alpins dans les gares et aéroports français. Ils sont vus, mais ils ne voient rien. Or la base de la lutte antiterroriste, c’est de voir, sans être vus.

Comprenant que soumettre le monde entier à l’islam est une affaire de longue haleine, les djihadistes ont, pour premières cibles, les populations musulmanes, qu’il s’agit de ramener aux strictes règles de la vie sociale à La Mecque et à Médine, au milieu du 7èmesiècle. Il s’agit de les couper au maximum de la civilisation occidentale et de ses valeurs (séparation du politique et du religieux, égalité entre l’homme et la femme, existence de la science indépendamment des vérités révélées, etc.).

La grande intelligence des djihadistes est qu’ils n’ont pas rejeté l’Occident en bloc. Ils en ont gardé les outils modernes, qu’ils retournent contre lui : l’internet, les réseaux sociaux, la société du spectacle, la tolérance culturelle, la liberté individuelle. Ils tuent, dans des sociétés qui n’appliquent pas la peine de mort. Ils endoctrinent, dans des sociétés qui relativisent la parole de ses maîtres. Ils ont retourné l’asymétrie en leur faveur.

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