Après le second conflit mondial, les Etats-Unis avaient beaucoup encouragé la construction européenne, afin d’éviter que la guerre ne vienne ravager à nouveau le Vieux Continent et afin que l’Europe occidentale présente un ensemble solide et solidaire face à la menace soviétique. Le 33ème président des Etats-Unis, Harry Truman, avait aidé puis salué chaleureusement la création en 1951 de la Communauté européenne du charbon et de l’acier. Six ans plus tard, son successeur, le président Eisenhower avait fait de même pour la création du Marché commun et d’Euratom. Un ambassadeur américain fut dépêché à Bruxelles auprès de la Communauté économique européenne, entité qui fut toujours choyée et hautement respectée par les Américains. Lorsque les pays d’Europe de l’Est furent libérés du joug soviétique à la fin des années 1980, Washington les encouragea à demander leur adhésion à l’Union européenne (UE). Lorsque la crise grecque éclata en 2010, les Américains incitèrent leurs alliés européens à faire preuve de solidarité avec Athènes, de manière à empêcher le début d’un détricotage de la zone euro, voire de l’Union européenne.

Avec l’élection du 45ème président des Etats-Unis, entré en fonction le 20 janvier 2017, tout a changé. L’Amérique, qui fut la bonne fée penchée sur le berceau de l’Europe institutionnelle à sa naissance, se comporte désormais avec sa filleule comme la marâtre à l’égard de Cendrillon. Trump affiche publiquement son mépris à l’égard de l’UE. Au gré de ses tweets, ou de ses interviews, il la voit comme une prison des peuples, comme un monstre bureaucratique, qui vivrait sous la domination de l’Allemagne, afin de l’enrichir. Après avoir félicité la Grande-Bretagne pour son Brexit, il a reçu chaleureusement son premier ministre le 27 janvier 2017 – sans qu’on perçoive encore clairement ce que Theresa May a gagné de concret en se précipitant comme un caniche. Trump encourage ouvertement les pays membres de l’UE à la quitter au plus tôt.

Mr Trump est bien sûr libre de mépriser autant qu’il le souhaite notre Union européenne. On lui fera simplement remarquer que son diagnostic comporte une petite inexactitude. On se réjouira aussi du gros cadeau qu’il nous fait, peut-être inconsciemment.

L’inexactitude est de présenter une Europe souffrant sous la botte allemande. Non, l’euro n’est pas le Reichsmark de 1942. Les Allemands n’ont pas envoyé leurs Panzers pour obliger les Français, les Hollandais, les Italiens, les Espagnols ou les Grecs à abandonner le franc, le florin, la lire, la peseta ou la drachme. C’est le contraire qui s’est produit. Nous, les Français, nous avons supplié les Allemands de nous associer à leur monnaie. Eux, ils n’étaient pas chauds, parce qu’ils ne croient pas aux vertus des dévaluations « compétitives », et qu’ils détestent les déficits budgétaires.

Le cadeau que nous fait Trump ? C’est la gifle qu’il nous donne. Une gifle salutaire qui, espérons-le, finira par réveiller l’UE de sa torpeur. Depuis le début du millénaire, elle n’a cessé de décevoir ses citoyens. En mars 2000, le sommet européen avait fixé un objectif stratégique pour l’Union : devenir l’économie de la connaissance la plus compétitive du monde en l’espace d’une décennie. Cette « stratégie de Lisbonne » n’a pas été appliquée, et la distance s’est accrue entre la réalité européenne et le modèle californien. Les autres ratages de l’UE sont connus : élargissement précipité (préféré à l’approfondissement du modèle existant) ; cafouillages constitutionnels ; pusillanimité dans les négociations commerciales avec la Chine ; inertie face à la déferlante de la crise des subprimes venue du territoire américain ; incapacité à anticiper la crise des migrants et à prendre les dispositions nécessaires aux frontières.

Les dirigeants de l’UE sauront-ils relever le défi de Donald Trump ? Ils devront d’abord ouvrir les yeux et renoncer à l’Atlantisme qui leur tenait de religion en matière de sécurité et de défense. Si l’Otan est obslolète, comme l’a dit M. Trump, il est temps que l’Europe apprenne à compter sur ses propres forces. Elle avait été prévenue en son temps par le général de Gaulle, mais elle ne l’avait pas cru.

En matière commerciale, l’UE doit se montrer unie et intraitable car, dans les négociations, Washington ne comprendra désormais que les rapports de force. En matière judiciaire, l’Amérique doit comprendre que ses tentatives de donner un caractère extraterritorial à ses lois ne rencontreront que des mesures de représailles de la part de l’UE. En matière d’immigration, l’UE doit montrer la voie du juste milieu, qui évite aussi bien le laxisme autorisant l’invasion incontrôlée des clandestins que le verrouillage indiscriminé, indigne d’une civilisation ouverte.

Washington a bercé l’UE dans son jeune âge. Il la gifle aujourd’hui. Puisse-t-elle en tirer enfin parti, afin qu’elle déploie, vers l’extérieur, le minimum de fermeté que lui réclament ses citoyens.

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