Tous deux issus de la famille gaulliste, François Fillon et Alain Juppé ont, dans leur vie politique, souvent travaillé ensemble, au sein du même gouvernement. Parfois, ils furent à égalité, simples ministres, comme dans le gouvernement Balladur (1993-1995). Parfois, l’un fut hiérarchiquement au-dessus de l’autre. Fillon fut le ministre des Télécommunications du gouvernement Juppé (1995-1997). Juppé fut le ministre de la défense puis des Affaires étrangères du gouvernement Fillon, de 2010 à 2012. Ce long cheminement commun explique qu’ils n’entretiennent pas de divergences fondamentales en politique étrangère. Tous les deux sont attachés à l’indépendance du pays, à son rayonnement culturel, à sa force nucléaire, à son adhésion à l’Otan, à son appartenance à l’Union européenne et à l’euro-zone, à son respect des institutions de l’Onu, à sa politique méditerranéenne, au maintien de ses liens privilégiés avec l’Afrique francophone. Tous deux, sous Chirac, ont voté oui au référendum sur la Constitution européenne de 2005, et ont condamné l’invasion américaine de l’Irak de 2003. Tous deux, sous Sarkozy, ont approuvé la réintégration de la France dans la structure militaire intégrée de l’Otan (2008), et son expédition militaire contre la Libye de Kadhafi (mars 2011).
S’il n’y a pas de divergences fondamentales, il y a cependant des différences, qui ont, depuis 2012, surgi sur quatre terrains : la Russie, le Moyen-Orient, l’Union européenne, l’Amérique.
Vis-à-vis de la Russie, Fillon prône la suppression des sanctions européennes, qui furent décidés en 2014, après l’annexion de la Crimée et l’ingérence militaire russe dans le Donbass ukrainien. Il estime que ces sanctions sont contreproductives, car pénalisant les exportateurs français vers la Russie, sans avoir la moindre chance de faire changer la stratégie russe à l’égard de l’Ukraine. Il juge enfin inutilement provocatrice la politique d’expansion ininterrompue de l’Otan vers les anciennes Républiques de l’Union soviétique. La position de Juppé est en revanche plus proche de celle des Allemands, des Suédois ou des Hollandais, qui songent davantage à durcir les sanctions qu’à les alléger. On a traité Fillon de « poutinien ». C’est ridicule. Aussi ridicule que si on avait traité de Gaulle de « brejnévien » après son discours de Phnom Penh (1966) contre la guerre américaine au Vietnam. Ou que si l’on traitait aujourd’hui Juppé de « caniche des Américains ». Quand il quitta le Quai d’Orsay en 1995, Juppé fut ovationné par les diplomates de carrière, qui étaient tous, à cette époque, encore fort sourcilleux sur l’indépendance nationale.
Sur le Moyen-Orient, les positions des deux hommes sont en revanche presque antagoniques. Imitant l’Amérique, Alain Juppé ferma notre ambassade à Damas en mars 2012 pour protester contre la politique du régime baasiste, tout en annonçant la chute imminente de Bachar. Sa position actuelle sur la Syrie, fille de sa volonté de propager les droits de l’homme et la démocratie en Orient, est la même que celle de Laurent Fabius : le ni-ni. Ni le régime, ni Daech.
François Fillon pense en revanche que seul l’Etat islamique tue des Français et qu’il faut donc donner comme priorité à notre politique étrangère la destruction de notre ennemi principal. Dans cet objectif, il est prêt à coopérer avec la Syrie d’Assad. D’autant plus que, très attaché à la défense des chrétiens d’Orient, Fillon sait que les quatre cinquièmes d’entre eux sont pro-Bachar.
Sur l’UE, François Fillon a violemment critiqué la Cour européenne des droits de l’Homme, après qu’elle eut condamné la France pour son refus de reconnaître la filiation d’enfants nés de mères porteuses à l’étranger : « La CEDH se mêle de plus en plus de questions de société, qui font notre identité. On ne peut pas l’accepter. Si on ne peut changer cela, je proposerai que la France quitte la CDEH ». Alain Juppé, lui aussi, a proposé de réformer la CEDH, mais il a exclu toute possibilité de faire sortir la France de la Convention européenne des droits de l’homme.
En fils spirituel de Philippe Séguin, Fillon est pour une Europe des patries, alors que Juppé, fils spirituel de Jacques Chirac, ne s’est jamais opposé au fédéralisme croissant des institutions de Bruxelles.
Sur nos relations avec l’Amérique, Juppé se montre plus atlantiste que Fillon. Ayant en tête l’hégémonisme financier et juridique des Etats-Unis, Fillon a dit que la France était menacée par l’«impérialisme américain ». Une expression qu’on ne trouvera jamais dans la bouche de Juppé. Pour celui-ci, regrettable est l’amende de 9 milliards de dollars imposée par la justice américaine à la BNP. Pour celui-là, elle est inacceptable.
Fillon et Juppé sous tous les deux des patriotes intransigeants. Mais Fillon est plus un gaulliste classique alors que Juppé s’accommode parfaitement des positions atlantistes classiques du centrisme français.