Le massacre commis le 2 décembre 2015 par un jeune couple d’islamistes à San Bernardino (ville de plus de 200000 habitants en Californie) a constitué une dure piqûre de rappel pour une Amérique qui était de plus en plus attirée par le néo-isolationnisme. Ce n’est pas parce que l’on préconise le « retranchement stratégique » ou le « lead from behind » (conduire le monde depuis une position en arrière) comme l’a fait le président Obama au cours de ses deux mandats, que l’on réussira à éloigner du territoire des Etats-Unis la peste de la violence infligée au nom de l’islam. L’isolationnisme n’est plus une doctrine stratégique pertinente car il n’y a plus de sanctuaires sur la planète. Tout pays, qu’il soit proche ou éloigné du Moyen-Orient, peut être attaqué par le terrorisme islamiste.

Assez cruellement, Syed Farook et Tashfeen Malik ont rappelé à la population américaine quatre vérités.

La première est que la pauvreté n’explique pas la violence islamiste. En Occident, les commentateurs portés à l’angélisme ont longtemps essayé d’établir une filiation entre misère sociale et recours religieux à la violence. Cette filiation n’existe pas. Il n’y a aucun lien automatique entre le fanatisme religieux et la condition sociale d’une personne. Mohammed Atta, le cerveau des attentats du 11 septembre 2001 à New York et Washington, était un fils de bourgeois égyptiens, pour qui, de surcroît, l’Occident avait déroulé un tapis rouge. Il avait été admis à poursuivre ses études universitaires à l’Université de Hambourg (en architecture et urbanisme), qui lui avait accordé une bourse. C’est au sein de cette atmosphère confortable et accueillante qu’il s’était radicalisé.

Aux Etats-Unis, qui sont le grand pays le plus riche du monde, les Musulmans ne forment pas une communauté pauvre. Les Noirs et les Latinos – qui pour la plupart adhèrent au christianisme – sont en moyenne plus pauvres qu’eux. Les deux terroristes de San Bernardino n’étaient ni pauvres, ni chômeurs.

La deuxième vérité est que la frustration politique n’explique pas non plus cette violence. A San Bernardino, il n’y avait aucune revanche à prendre sur un quelconque passé colonial : les Etats-Unis n’ont jamais colonisé le sous-continent indien d’où sont originaires les familles des deux terroristes. L’on entend également souvent dire, en Occident, que la virulence islamiste internationaliste serait fille du conflit israélo-palestinien. Je suis un fervent partisan de la constitution d’un Etat palestinien viable. Mais il faut voir les choses en face. Même si Jérusalem était donnée aux arabes, cela ne suffirait pas aux islamistes. Car leur appétit territorial est illimité. Non avéré est le lien qui existerait entre le conflit israélo-palestinien et la radicalisation des musulmans issus du sous-continent indien.

Si le terrorisme islamiste n’est explicable ni par des raisons sociales, ni par des raisons historiques, c’est parce qu’il est idéologique. C’est notre troisième vérité. Et les Américains ont trop longtemps fermé les yeux sur cette idéologie, qui est le wahhabisme. L’alliance de l’Amérique, nouée avec la maison des Saoud dès février 1945, puis son soutien aux moudjahidine afghans dans leur guerre contre l’envahisseur soviétique, l’ont empêchée de voir clair. Il n’y avait rien de mal à établir un partenariat stratégique avec le détenteur des plus grandes réserves pétrolières du monde. En revanche les Etats-Unis n’auraient jamais dû accepter que les dollars dont ils inondaient l’Arabie saoudite servent à propager une idéologie intolérante et intrinsèquement violente dans le reste du Moyen-Orient, puis dans le monde entier. L’avertissement du 11 septembre 2001 n’a pas été bien entendu par les Américains. Ils n’ont pas voulu voir que la grande majorité des terroristes impliqués dans ces attentats avaient été élevés dans les écoles de leur allié saoudien. Ce n’était pas sur l’Irak laïc qu’il fallait agir, mais bien sur le tissu social, religieux et scolaire des pétromonarchies sunnites du Golfe Persique.

Quatrième vérité, il était inévitable que cette idéologie revienne frapper les Etats-Unis en boomerang. Car elle ignore les frontières et les Etats nations. L’Etat islamique du calife Ibrahim est comme l’Union soviétique du camarade Lénine : pays sans référence géographique. L’islamisme est une idéologie internationaliste qui s’adresse à l’Oumma, à la communauté de tous les musulmans sur terre. Elle méprise le concept de nation, en terre d’islam (effacement symbolique de la ligne Sykes-Picot de partage du Levant datant de 1916), comme en Occident (dont les habitants ne sont plus nommés que sous le vocable général de « croisés »).

Tuer cette idéologie, dont les métastases s’étendent sur les cinq continents, est une entreprise humaine compliquée et de longue haleine. Les porte-avions et les drones les plus sophistiqués n’y suffiront pas…

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