François Hollande est un président qui voyage beaucoup. A l’heure de la mondialisation économique, on ne peut que l’en féliciter. Au surplus, dans l’histoire des hommes, aucune politique étrangère solide ne s’est jamais forgée sans échanges personnels entre chefs d’Etat et de gouvernement. Le président de la République française a donc eu raison de se rendre à Cuba le lundi 11 mai 2015.

Mais François Hollande a eu tort de ne pas assister à la grande parade militaire qui célébra, à Moscou le 9 mai, le soixante-dixième anniversaire de la victoire de la Russie sur l’Allemagne nazie. L’erreur de notre président fut à la fois diplomatique, morale et stratégique. Diplomatiquement, il s’est montré discourtois à l’égard de Vladimir Poutine, qui s’était bel et bien rendu à son invitation de participer aux célébrations du Débarquement allié de Normandie. Moralement, la France se devait d’honorer le sacrifice du peuple russe, qui paya plus qu’aucun autre le prix du sang dans la destruction de l’armée hitlérienne. Stratégiquement, le président français s’est aligné sans nécessité sur la position américaine d’un boycott de la Russie, qui la jette imprudemment dans les bras de la Chine.

Est-ce à dire que nous, Français, nous devrions être poutiniens ? Bien sûr que non ! A son arrivée au pouvoir suprême en janvier 2000, Vladimir Poutine a eu le mérite de sortir son pays du chaos sécuritaire et économique dans lequel l’avait jeté la mascarade libérale des années 1990. Mais il n’a pas su ensuite édifier en Russie un Etat de droit, sans lequel il n’est pas de développement crédible et durable.
Est-ce à dire que nous, Français, nous devrions être anti-Ukraine ? Bien sûr que non ! Le président Hollande a eu raison de recevoir, le 22 avril 2015, avec tous les honneurs, le président Porochenko. La France est dans son rôle quand elle rappelle le mémorandum de Budapest (1994), texte qui porte la signature du président russe Boris Elstine, et qui garantit l’intégrité territoriale de l’Ukraine. C’est un pays qui aspire à devenir un Etat de droit ; nous devons donc y encourager la chasse à la corruption, comme la séparation entre la politique et l’argent (d’une poignée d’oligarques). Pour résoudre la question des séparatistes russophones du Donbass, Hollande a initié une médiation, qui a abouti aux accords de Minsk. Ils ne sont pas parfaits, ils sont fréquemment égratignés de part et d’autre, mais ils ont au moins arrêté l’effusion de sang à l’Est de l’Ukraine. Comme l’a rappelé la chancelière allemande lors de sa visite à Moscou du 10 mai 2015, ils forment un cadre sur lequel on peut travailler. Après avoir rendu hommage aux millions de morts russes tués par l’agression allemande de 1941, Angela Merkel ne s’est pas privé d’exhorter publiquement Vladimir Poutine à mieux faire appliquer sur le terrain ses engagements de Minsk.

Mais pourquoi diable nos réserves à l’égard du style de gouvernement de Poutine ou notre tendresse pour les aspirations démocratiques ukrainiennes devraient-elles nous empêcher d’édifier une diplomatie anticipatrice et intelligente envers la Russie ? Depuis une dizaine d’années, nous n’avons plus cherché à la comprendre et à satisfaire sa volonté de rejoindre ce que Gorbatchev appelait la « Maison commune européenne ». Ce hiatus est devenu patent quand nous l’avons morigénée pour la violence de sa réaction au bombardement de Tshinkvali, la capitale de l’Ossétie du sud séparatiste, par les orgues de Staline du gouvernement géorgien pro-occidental de Sakashvili, le 7 août 2008 au soir, tuant des centaines de personnes, dont dix observateurs militaires russes. Imaginons qu’à la même époque l’artillerie serbe ait soudain bombardé Pristina, la capitale du Kosovo séparatiste, et ait tué dix soldats américains de la KFOR : l’Otan serait-elle restée les bras ballants ? En mars 1999, quand l’Occident est intervenu militairement pour aider les séparatistes albanais, il promit solennellement de faire du Kosovo une terre multiethnique et pacifiée. C’est aujourd’hui un hub de criminalité, dont les minorités non albanophones ont été chassées, et dont les anciens guérilleros séparatistes ont entrepris de détruire la paisible Macédoine voisine. Avant de donner des leçons, l’Occident pourrait peut-être balayer devant sa porte.

Pour ce défilé militaire du 9 mai (comprenant un bataillon chinois), le président Xi Jinping était à la droite de Poutine. Le vice-président de la Commission centrale du Parti communiste chinois a dit ensuite que ces célébrations avaient « propulsé à un nouveau stade le partenariat stratégique global entre la Chine et la Russie ». La première a, par ailleurs, ouverte à la seconde une ligne de crédit illimitée pour ses infrastructures.
Dans cette lente dérive de la Russie vers l’Asie, on ne voit pas très bien où se retrouve l’intérêt stratégique de la France.

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