La politique internationale de la Chine a deux visages. Le premier est celui qui apparaît sur les images de CNN, de la BBC ou de France 24. C’est celui d’une Chine devenue un acteur majeur du concert des nations, une Chine qui s’est hissée au niveau politique des Etats-Unis d’Amérique. Cette Chine-là est incarnée par trois photos emblématiques du sommet de l’APEC (Asia Pacific Economic Cooperation, forum des nations riveraines du Pacifique, qui représentent aujourd’hui 64% de la production mondiale de richesses), tenu à Pékin du 9 au 11 novembre 2014. On y voit un président Xi Jinping souriant, en pleine gloire au milieu d’un parterre de 21 chefs d’Etat et de gouvernement, ayant placé Barack Obama à sa droite et Vladimir Poutine à sa gauche. Il y a quarante-cinq ans, c’était l’Amérique qui s’interposait entre l’Union soviétique et la Chine, alors les deux frères ennemis du monde communiste. Kissinger envoyait un avertissement très sec au Kremlin d’enterrer son projet d’usage d’armes atomiques tactiques dans son conflit territorial sur la rivière Oussouri, qui marque la frontière russo-chinoise. Aujourd’hui, c’est la Chine qui donne au monde l’image d’un médiateur capable de réduire la tension russo-américaine.

Le deuxième cliché emblématique de la puissance diplomatique chinoise est celui où les deux présidents des deux pays les plus puissants du monde se retrouvent ensemble, signant un « accord historique » en vue de freiner le dérèglement climatique, alors que ni l’Amérique, ni la Chine ne se sont vraiment impliqués dans le protocole international de Kyoto sur la question : la Chine y figure dans la liste des pays émergents, c’est-à-dire non contraints à réduction d’émission de CO2; l’Amérique n’a pas signé.
Le troisième cliché illustrant la majesté chinoise est celui de la main glaciale que tend le président Xi Jinping au Premier ministre Shinzo Abe du Japon, qui a quémandé pendant trois mois cet entretien en tête-à-tête. Bon prince, la Chine l’a accordé, car un sommet Pacifique sans le Japon aurait fait désordre. Il y a trente ans, la Chine de Deng Xiaoping, qui entamait sa modernisation économique, n’avait que des mots doux pour le géant technologique et financier qu’était alors le Japon. Aujourd’hui l’Empire du Milieu n’a plus besoin de l’Empire du Soleil Levant et lui fait savoir de toutes les manières possibles. Dans le bras de fer sino-japonais, c’est Tokyo qui a cédé le premier, tant le Japon de la croissance négative est nerveux face à l’expansionnisme maritime chinois.
Dotée des plus importantes réserves de change du monde et devenue en 2013 la première puissance manufacturière de la planète, la Chine est un géant. Mais sa diplomatie est en retard sur son économie, car elle se refuse toujours à jouer un jeu à sa hauteur dans le concert des nations (qu’on appelle aujourd’hui du nom ambigu de « communauté internationale ») : c’est là son deuxième visage, plus politique et plus en « harmonie » avec son système de parti unique, nationaliste et paranoïaque.
Sur le plan du droit de la mer, son refus de jouer le jeu est patent. La Chine est en conflit larvé avec l’ensemble des pays riverains des mers de Chine orientale et méridionale, s’arrogeant une souveraineté sur le moindre récif émergé. L’espace maritime qu’elle prétend contrôler s’étend pratiquement jusqu’aux côtes indonésiennes ! Elle refuse de soumettre ses différends territoriaux à un arbitrage de la Cour Internationale de Justice de La Haye. Car c’est surtout de son pré carré qu’elle se préoccupe. Elle veut être la première en Asie ; elle conserve un regard lointain sur le reste du monde.
Le 11 novembre dernier à Pékin, la Chine a orchestré une sorte de G2 sur le climat. En fait, il s’agit d’un simulacre d’accord avec l’Amérique, car la Chine ne s’est engagée à rien de bien concret : elle ne plafonnera ses émissions de CO2 qu’à partir de …2030.
En matière financière et monétaire, le système idéal pour la Chine n’est pas celui qui s’est installé progressivement après les accords de la Jamaïque de 1976, avec ses comptes de capitaux ouverts, ses monnaies convertibles, ses taux flottants, le tout dominé par le dollar comme monnaie de réserve et d’échanges. Son obsession de souveraineté l’a confirmée dans sa prudence contre une « internationalisation » trop rapide et non maîtrisée du yuan. Le gouvernement chinois estime que la fixation du taux de change de sa monnaie reste sa prérogative régalienne.

Plus généralement, la politique étrangère de la Chine est au service de la stabilité de son régime intérieur. C’est pourquoi, derrière sa volonté affichée d’un ordre international plus « juste », la Chine refuse tous les accords multilatéraux qu’elle n’a pas contribué à mettre en place. Janus, elle proclame haut et fort son adhésion au système international, tout en restant une puissance égocentrique et crispée.

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