Si la France n’est plus le phare d’Alexandrie de la diplomatie mondiale, elle ne peut s’en prendre qu’à elle-même. Bien qu’elle ait été gouvernée en haut lieu depuis trente ans par une flopée de Conseillers à la Cour des Comptes et d’inspecteurs des finances, la pagaille la plus noire règne dans ses Comptes publics. Devenue aux yeux de la planète un exemple à ne pas suivre économiquement, la France a perdu par ricochet une bonne partie de l’influence diplomatique que le général de Gaulle avait su lui redonner. Le pays souffre d’un sérieux problème d’aboulie de ses élites politiques. Mais s’il manque la volonté à la France – pour combien de temps encore ? -, il lui reste au moins l’intelligence. Quand ils ne sont pas aveuglés par un reliquat d’idéologie néoconservatrice, les diplomates du Quai d’Orsay ont souvent une meilleure compréhension du monde, plus fine, plus approfondie, que leurs homologues américains, allemands ou britanniques. C’est patent dans des zones comme le Moyen-Orient, l’Afrique noire, le monde russe.
Sur quels dossiers la France devrait-elle s’efforcer d’offrir, en 2015, une réelle valeur ajoutée diplomatique ? Il y en a cinq : la crise ukrainienne ; le différend nucléaire avec l’Iran ; la déstabilisation du Sahel ; le traité de libre-échange transatlantique ; le dérèglement climatique.
A l’égard de la Russie, la trop lourde machine européenne a encore déraillé. Elle a pris l’initiative symbolique de mettre des sanctions sur la Crimée au moment même où Poutine faisait des concessions et où ses protégés séparatistes du Donbass annonçaient leur ralliement à l’idée d’une fédéralisation à l’allemande de l’Ukraine. A qui peut profiter le cercle vicieux sanctions européennes-repliement russe ? A personne, sur notre continent. Il y aura peut-être d’ici deux ans un effondrement de l’économie russe. Mais il aura été précédé d’un effondrement de l’économie ukrainienne. Les dirigeants de Kiev le savent, qui sont les seuls à ne pas appliquer de sanctions commerciales contre la Russie. Le coût pour l’Union européenne de ce double effondrement serait immense. Depuis son escale à Moscou du 6 décembre 2014, le président François Hollande s’est installé, à raison, dans une position d’ « honest broker » (intermédiaire sincère) entre la Russie et l’Occident. Qu’il persévère car Poutine a besoin qu’on l’aide à sortir du sable-mouvant où ses nationalistes l’ont entraîné à Donetsk et à Lougansk.
A Vienne, le 25 novembre 2014, l’Iran et le Groupe des Six (les cinq membres permanents du Conseil de sécurité et l’Allemagne) ont décidé de poursuivre leur négociations nucléaires jusqu’au 1er juillet 2015. Il est évident qu’on ne peut accepter une bombe atomique iranienne, sauf à vouloir déclencher, autour du Golfe Persique, une folle course aux armements nucléaires. Mais il est tout aussi évident qu’on a aujourd’hui plus besoin que jamais de la Perse, pour stabiliser un Moyen-Orient défiguré par l’idéologie wahhabite. La France, pays qui s’y connaît en industrie nucléaire, est la mieux placée pour trouver un accord qui soit non proliférant, tout en sauvant la face des dirigeants de Téhéran, en les aidant dans leur programme d’énergie civile.
Pour contrecarrer le cancer de l’islamisme sunnite, la France devrait continuer son partage informel du travail avec les Etats-Unis. A ses derniers revient la zone du Centcom (Central Command, qui va des côtes méditerranéennes du Levant à l’Hindu Kush et aux vallées afghanes). A la France revient la stabilisation du Sahel. Libre à elle de solliciter, après feu vert de l’Onu et de la Ligue arabe, l’aide de l’armée égyptienne en Cyrénaïque et au Fezzan, et l’aide de l’armée algérienne en Tripolitaine et au Mali.
Contrairement à tous les fantasmes nourris par la perspective de manger du poulet chloré prophétisée par Mélenchon, le TAFTA (Transatlantic free-trade agreement) était une excellente idée : bâtir un marché commun entre les Etats-Unis et l’Union européenne afin de pouvoir mieux résister à la concurrence de l’industrie chinoise. Rebaptisé, pour faire moins peur, TTIP (Transatlantic Trade and Investment Partnership), ce projet de traité devrait être très prochainement renégocié par la Commission européenne. Le rôle de la France sera ici celui d’une vigilance : ne pas accepter que les normes européennes (sanitaires, sociales, environnementales) soient revues à la baisse, pour plaire aux Américains.
Enfin, c’est en décembre 2015 que se réunira à Paris la 21ème Conférence des Nations Unies consacrée au dérèglement climatique. L’enjeu est d’obtenir que les pays en développement –auxquels la Chine ose encore s’assimiler ! – se joignent aux vieux pays industrialisés, pour réduire ensemble les émissions de CO2. Douze mois de tractations ne seront pas de trop pour une diplomatie française soucieuse d’offrir une vraie avancée écologique à la planète…