Dans la diplomatie qu’il souhaite mettre en œuvre avec la Russie, Barack Obama est aujourd’hui considérablement gêné par l’attitude du Congrès. Les deux chambres du Parlement américain viennent en effet d’adopter, sous le nom d’ Ukraine Freedom Act (loi de soutien à la liberté de l’Ukraine), un texte empiétant largement sur les prérogatives de l’Exécutif. Il appelle à un renforcement des sanctions commerciales contre la Russie et à des livraisons d’armes américaines aux trois pays avec lesquels Moscou entretient des différends territoriaux, qui sont trois anciennes Républiques soviétiques devenues indépendantes en 1991 : la Moldavie, la Géorgie, l’Ukraine. Le républicain John Mc Cain, qui s’apprête à prendre la présidence de la Commission des forces armées du Sénat, avait publiquement qualifié de « scandaleux » le fait que l’Amérique n’aidât pas militairement ces pays « agressés » par la Russie. Le sénateur, ancien pilote de l’aéronavale du temps de la guerre du Vietnam, juge le comportement du Kremlin de Poutine aussi dangereux que celui de Brejnev à l’époque des plus belles années de la guerre froide.
L’actuel président américain n’éprouve aucune sympathie particulière pour son homologue russe, mais il estime que cela ne sert à rien de jeter de l’huile sur le feu. A raison, Obama pense qu’il n’y a pas de solution militaire qui puisse aujourd’hui pacifier les rives du Dniestr et du Dniepr, ou les contreforts du Caucase. Il réprouve l’usage, plus ou moins dissimulé, de la force par les services de sécurité de la Russie sur des territoires qui ne lui appartiennent plus. Il n’accepte pas que le Kremlin renie la garantie écrite d’intégrité territoriale qu’il avait donnée à l’Ukraine en échange de l’abandon de ses armes nucléaires, à l’occasion d’un Sommet des grandes puissances, tenu à Budapest en 1994. Mais le président américain estime à juste titre qu’il y a une différence à faire entre la Crimée, péninsule dont la population est sincèrement très attachée à la Russie, et les régions du Bassin du Don, où les populations s’estiment fondamentalement ukrainiennes, même lorsqu’elles sont opposées au mouvement pro-européen de Maïdan. Bref, la Maison Blanche fait dans la nuance, alors que le Capitole voit le monde soit tout noir, soit tout blanc. Le démocrate Obama pense qu’un mélange de diplomatie ouverte et de sanctions très progressives peut amener la Russie à cesser son ingérence à Donetsk et Lougansk. Il rejette l’absurde comparaison de Poutine à Hitler. Il connaît la dangerosité de cette idéologie néoconservatrice prévalant au sein du parti républicain actuel qui, au nom des grands principes, a mis l’Irak à feu et à sang. Il se souvient que ces bonnes âmes avaient déjà traité les opposants à l’invasion militaire de 2003 d’horribles « Munichois ». Maintenant que, chapitrés par Moscou, les séparatistes du Donbass mettent de l’eau dans leur vin et ne réclament plus qu’un fédéralisme à l’allemande, les faits semblent donner raison à l’analyse d’Obama. Reste une question : mettra-t-il son veto ou promulguera-t-il l’Ukraine Freedom Act ? Le mieux serait de promettre à Poutine qu’il ne choisira la première branche de l’alternative qu’en échange d’un déploiement effectif des observateurs de l’OSCE sur les 400 kilomètres de frontière russo-ukrainienne que ne contrôlent plus le gouvernement de Kiev…
L’Athènes étudiée par Thucydide nous l’avait déjà appris. La mainmise d’une Assemblée sur la politique étrangère d’un Etat n’est jamais saine. Trois conditions sont indispensables à toute diplomatie sérieuse : le secret, la flexibilité, l’indépendance face aux groupes de pression. Le Congrès américain n’en offre aucune.
Dès son arrivée aux affaires en 2009, Barack Obama a consacré énormément d’énergie à régler deux grands dossiers diplomatiques : le conflit israélo-palestinien ; le différend Iran-Occident. A chaque fois, le Congrès lui a mis des bâtons dans les roues. Le problème est que le parti républicain a énormément changé par rapport à l’époque de Kissinger ou de Baker. Il est passé d’une formation traditionnellement pro-business – et donc très pragmatique – à un groupe dominé par l’idéologie. Exemple : quand Netanyahou a voulu saboter les accords d’Oslo – dont l’esprit était très clairement l’établissement d’un Etat palestinien indépendant sur le territoire de la Cisjordanie et de Gaza – , il s’est appuyé sans complexe sur le parti républicain. Car il est devenu le jouet de sa frange chrétienne évangélique, qui considère que Dieu a donné la Terre sainte au peuple juif et que personne ne peut contester cela…
Tant que le Congrès gardera ses prérogatives exorbitantes, la politique étrangère américaine restera erratique.