Curieuse fut la réaction du Kremlin à l’attentat terroriste du Crocus City Hall, revendiqué par l’État islamique en Asie centrale, qui fit près de 150 morts dans la banlieue de Moscou, le vendredi 22 mars 2024. Au lieu d’expliquer à la Russie qui est exactement cet ennemi qui vient chez elle tuer ses enfants dans ses rues, Vladimir Poutine, dans son allocution à la nation russe du 23 mars, s’est contenté de dire que les suspects fuyaient vers l’Ukraine, où leur aurait été préparée leur exfiltration. Pourquoi tenter dans cette affaire d’impliquer les autorités de Kiev, qui n’ont strictement rien à voir avec l’État islamique ?

Les Américains, meilleurs alliés des Ukrainiens, avaient prévenu les services de sécurité russes de l’imminence d’une attaque terroriste visant des « rassemblements de personnes » à Moscou. Fort heureusement, les services occidentaux de sécurité continuent à partager avec les services de la Russie et de la Chine leurs informations relatives au djihadisme. Dimanche 24 septembre, jour de deuil national en Russie, l’ambassade américaine à Moscou a mis son drapeau en berne.

L’attentat de Krasnogorsk a rappelé aux Russes et aux Occidentaux qu’ils avaient en commun un même ennemi : l’islamisme. Après les attentats du 11 septembre 2001, la Russie s’était montrée solidaire des États-Unis. Elle avait soutenu l’Alliance du Nord contre les talibans afghans et leurs alliés djihadistes arabes, puis avait facilité l’approvisionnement des troupes américaines déployées en Afghanistan.

Vivant dans le rêve d’un retour au califat, les islamistes ne croient pas au gouvernement des hommes, mais seulement à celui de Dieu. Pour eux, les frontières, créations des hommes au fil de l’histoire, n’ont pas de légitimité. Le monde est divisé en seulement deux parties : le Dar al-Islam, ou « domaine de la soumission à Dieu », où s’appliquent les préceptes de la religion musulmane, et le Dar al-Harb, ou « domaine de la guerre », qui regroupe les territoires incroyants, qu’il convient de convertir, si besoin par la force. À leurs yeux, l’éducation des filles et l’égalité juridique entre les hommes et les femmes sont des notions absurdes. Les islamistes sont pour nous des ennemis civilisationnels. Ils veulent la destruction de notre civilisation, issue des valeurs chrétiennes et des Lumières, qui préconisent la séparation du politique et du religieux, ainsi que la structuration par le droit des relations entre les hommes. L’islamisme ordonne la mort de tous les « infidèles » qui refusent de se soumettre à la loi d’Allah et de son prophète Mahomet.

Le drame du Crocus City Hall devrait rappeler au président de la Fédération de Russie quel est son ennemi principal. Ce n’est certainement pas l’Ukraine. Cette dernière, depuis son indépendance en 1991, a souhaité se dégager de l’influence politique de Moscou, mais elle n’a jamais préconisé ni visé la destruction de la Russie. Il est faux de prétendre que l’Ukraine ait pu présenter une quelconque menace réelle pour la Russie en tant qu’État. En revanche, une contamination par les idées djihadistes des 15 % de citoyens de la Fédération de Russie qui sont d’origine musulmane représenterait une réelle menace pour la cohésion interne de ce pays s’étendant sur onze fuseaux horaires.

De même que les conflits entre les croisés et les Byzantins au XIIIe siècle firent le miel de leurs adversaires musulmans, avant de favoriser l’ascension de la puissance ottomane, la reprise actuelle des conflits politiques au sein de la chrétienté représente une aubaine pour les musulmans sunnites sectateurs de l’État islamique. Point n’est besoin de tuer les infidèles, ils se tuent entre eux. Comme leur démographie est déclinante, il suffit d’être patient et d’attendre que leur civilisation chute, comme une pomme pourrie devenue trop lourde sur le pommier.

Le XIXe siècle fut une époque où l’islam chercha à se réformer, avec de grands penseurs comme Jamal al-Afghani (1838-1897) ou Mohamed Abduh (1849-1905), qui finit sa vie comme grand mufti d’Égypte. Après la grande tuerie interchrétienne que représenta la Première Guerre mondiale apparut en Égypte une forme d’islam beaucoup plus dure, beaucoup moins ouverte aux autres civilisations, rêvant d’un retour à la vie simple des compagnons du prophète : le mouvement des Frères musulmans de Hassan el-Banna.

La succession des trois grands événements de l’histoire contemporaine que furent la défaite du paganisme nazi dans la Seconde Guerre mondiale, la réussite de la construction européenne, l’effondrement intérieur du communisme soviétique, nous fit croire à l’avènement d’un « nouvel ordre mondial » (président George H. W. Bush en 1991), où la guerre serait bannie, en chrétienté d’abord, dans le reste du monde ensuite, par la force de l’exemple. C’était l’époque où Israéliens et Palestiniens se mettaient autour d’une table pour trouver un arrangement pacifique (accords d’Oslo de septembre 1993) et où Chine et Russie n’aspiraient qu’à imiter les sociétés occidentales.

Mais la guerre comme instrument politique revint en force avec le néoconservatisme américain. Le très chrétien président américain George W. Bush crut sincèrement qu’il pourrait par la force des armes démocratiser tous les pays du Moyen-Orient, et leur faire conclure ensuite la paix avec Israël. Son invasion de l’Irak en 2003, condamnée par la France, va décupler les mouvements islamistes et créer un immense chaos régional, qui n’est toujours pas résolu. La même erreur néoconservatrice sera faite en 2011 contre la Libye, sur une initiative, hélas, française. Le renversement par la force de Kadhafi fit grandement, et fait toujours grandement, le jeu des islamistes dans tout le Sahel.

Au début de la présente décennie, Vladimir Poutine aurait très bien pu consacrer son énergie à développer l’immense Sibérie plutôt qu’à agresser son voisin ukrainien, chrétien orthodoxe comme lui. Il a dégarni ses frontières d’Asie centrale pour envoyer des soldats sur le front de l’Ouest. Il en paie aujourd’hui le prix, n’ayant pas compris que son ennemi principal n’était pas l’Ukraine chrétienne mais bien l’État islamique en Asie centrale.

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