Ne nous leurrons pas. Il y a, actuellement, aux États-Unis, un phénomène Trump. Malgré l’acharnement contre lui de la quasi-totalité des juges, des professeurs et des journalistes, l’ancien président réussit un incroyable come-back. Comme si l’establishment intellectuel américain ne parvenait pas, malgré son armée d’arguments et de procédures, à stopper une vague trop puissante pour lui. On l’a vu encore, le 24 février 2024, à l’occasion de sa victoire triomphale aux élections primaire de Caroline du Sud contre l’ancienne gouverneure de l’État : ce n’est pas que le personnage plaît aux foules conservatrices de l’Amérique profonde, c’est qu’il les électrise.

Cela ne veut bien sûr pas dire que Donald Trump remportera l’élection nationale du premier mardi de novembre 2024 et qu’il reviendra à la Maison-Blanche le 20 janvier 2025. Une multitude d’imprévus peuvent survenir dans les huit mois qui nous séparent du scrutin présidentiel. Joe Biden peut parfaitement remonter le retard de trois points que lui attribuent les sondages.

Mais il est d’ores et déjà évident que Trump est parvenu à un contrôle total du Parti républicain. La preuve en est que le speaker de la Chambre des représentants, le républicain Mike Johnson, a préféré envoyer en vacances son Assemblée pendant deux semaines plutôt que de lui soumettre un projet de loi, déjà approuvé par le Sénat, qui octroierait 60 milliards de dollars d’aide militaire et civile supplémentaire à l’Ukraine. Le speaker, qui est seul maître de l’ordre du jour, traîne les pieds parce que Donald Trump s’est montré sceptique sur la nécessité de continuer à financer l’Ukraine. Comme argument, Mike Johnson avance que la sécurité des États-Unis doit commencer par le rétablissement de l’étanchéité de leur frontière avec le Mexique. Il veut forcer le Congrès à financer encore plus largement la construction d’un mur, pour ensuite présenter cela comme une victoire du bon sens du Parti républicain.

Le président Biden espérait que l’opinion publique américaine, au sens le plus large, serait révoltée par une telle guéguerre parlementaire du Parti républicain sur un sujet aussi sérieux que l’aide à un allié agressé en difficulté. Il n’en a rien été. Il est vrai que le Parti démocrate n’est pas blanc-bleu en matière d’obstruction aux initiatives du président. À peine Donald Trump avait-il pris ses fonctions en janvier 2017 que le Parti démocrate eut recours à tous les artifices – y compris une tentative de destitution – pour l’empêcher de gouverner.

Le retour de Trump à la Maison-Blanche n’étant plus improbable, et la prolongation de la menace russe aux frontières orientales de l’Europe étant de plus en plus probable, les Européens commencent à paniquer à l’idée d’être largués par leur grande sœur Amérique. Donald Trump a en effet tout récemment redit que son pays ne devait pas se sentir obligé d’intervenir militairement en faveur d’un allié de l’Otan qui serait agressé par la Russie. Comme il l’a répété lors d’un meeting en Caroline du Sud le 10 février 2024, Trump considère que la plupart des États européens ne font pas assez d’efforts pour leur défense et qu’ils ne sont donc pas dignes d’un appui américain automatique. Que cette interprétation soit contraire à la lettre et à l’esprit de l’article 5 du traité de l’Atlantique Nord (1949), le leader du mouvement Maga (« Make America Great Again ») n’en a cure.

« Les traités, voyez-vous, sont comme les jeunes filles et les roses : ça dure ce que ça dure ! », avait confié un de Gaulle dépité à des visiteurs à l’Élysée, en juillet 1963, à propos du traité stratégique franco-allemand qu’il avait signé six mois auparavant avec Adenauer, et qui venait d’être dénaturé par le Bundestag dans son processus de ratification.

Le fondateur de la Ve République avait également été très frappé, alors qu’il n’était encore qu’un simple capitaine, par la très courte protection que le traité de Versailles (1919) avait donnée à la France. Alors que le président américain avait passé neuf mois à Paris pour le négocier puis le signer, ce texte, qui empêchait toute remilitarisation de l’Allemagne, ne fut pas ratifié par le Sénat, pour des raisons de politique politicienne intérieure américaine. La conséquence en fut que l’Amérique n’adhéra pas à la SDN, finança le réarmement allemand, accepta la remilitarisation de la Rhénanie (1936), refusa d’aider la France en 1940 face à l’armée nazie lorsque le président Paul Reynaud le lui demanda solennellement.

Comprenant que l’alliance américaine était susceptible de fluctuations pour des raisons de politique intérieure, le général de Gaulle fit le choix de doter la France d’une dissuasion nucléaire entièrement indépendante. Aujourd’hui, dans le monde dangereux qui nous entoure, il n’y a pas un Français qui ne lui en soit reconnaissant.

Trump a le mérite de rappeler aux grandes nations européennes qu’il est pour elles urgent d’assumer la responsabilité de leur propre sécurité, comme du maintien de la paix sur leur continent.

Face à une Ukraine toujours aussi courageuse et déterminée à se défendre, mais épuisée par les combats, Emmanuel Macron a eu raison de convoquer à l’Élysée, le 26 février 2024, une conférence de soutien des alliés européens et d’affirmer : « La Russie ne peut ni ne doit gagner cette guerre ! ». En effet, en cas de victoire russe et de prise de Kiev, qui pourrait garantir que le régime de Poutine ne songe à attaquer d’autres anciennes républiques de l’ex-URSS, comme les pays Baltes ?

La guerre en Ukraine et le trumpisme ont démontré l’urgence d’un réarmement conventionnel proprement européen. La France pourrait prendre dès demain une initiative de plus long terme : faire entrer dans le traité de Lancaster House (2010), qui organise une coopération étroite entre les armées et les industries d’armement françaises et britanniques, les trois autres grands pays du continent militairement significatifs que sont l’Allemagne, l’Italie et la Pologne. Une telle initiative pratique serait autrement plus réaliste que le serpent de mer de la défense européenne dont on parle en vain depuis le traité de Maastricht.

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