Réunis à Hiroshima, du 19 au 21 mai 2023, pour le sommet du G7, les Occidentaux ont souhaité délivrer au reste du monde un message historique de confiance en soi, d’unité et de fermeté quant à leur vision du droit international.
En invitant le président Zelensky au sommet, ils ont signifié à Vladimir Poutine que, dans un avenir prévisible, ils ne lâcheraient jamais l’Ukraine, agressée par l’armée russe depuis février 2022. Par un partage du renseignement militaire, par un envoi continu d’armes et de munitions, par l’entraînement de tankistes et de forces spéciales, par la formation de pilotes de chasse sur avion F-16 (avant la prochaine livraison des appareils eux-mêmes), les Occidentaux ont l’intention de transformer le territoire ukrainien en un bastion inexpugnable. Pour eux, l’Ukraine doit devenir à l’Orient slave ce qu’Israël est au Levant arabo-musulman. En l’Amérique, ils ont de nouveau un chef incontesté, car elle a su prévoir l’agression russe et préparer l’armée ukrainienne à tenir le choc. Les catastrophes que furent ses interventions en Irak et en Afghanistan sont pardonnées.
Mais la Russie n’était pas la cible numéro un de ce G7. Son économie est trop faible et sa guerre impériale a d’ores et déjà échoué, avec ou sans Bakhmout. C’est la Chine qui était en priorité visée par les sept grandes puissances économiques occidentales (États-Unis, Canada, France, Allemagne, Italie, Royaume-Uni, Japon), auxquelles s’étaient jointes l’Inde, la Corée du Sud, l’Australie, et l’Union européenne. De manière encore feutrée, les Occidentaux ont demandé à la Chine de rentrer dans le rang de l’ordre international tel qu’ils l’imaginent.
Ils n’admettent pas l’idée que la Chine fasse usage d’armes commerciales pour sanctionner des voisins qui prennent des initiatives politiques qui lui déplaisent. En 2016, la Corée du Sud fut punie d’un boycott de ses produits par les Chinois, après avoir installé sur son territoire des batteries américaines Thaad (Terminal High Altitude Area Defense). Ces missiles antibalistiques étaient pourtant nécessaires face aux menaces émanant du régime communiste erratique de Corée du Nord.
Autre exemple, l’Australie, dont les Chinois sont pourtant le premier partenaire commercial, a été menacée de boycott en avril 2020, après qu’elle eut demandé une enquête internationale sur l’émergence à Wuhan du virus du Covid et sur les conditions de sa diffusion au monde entier.
Les Occidentaux reprochent également à la Chine la manière dont elle installe ses routes de la soie commerciales vers l’Europe, le Moyen-Orient et l’Afrique. Selon eux, la Chine prend avantage des vulnérabilités économiques des petits pays, afin d’étendre son contrôle sur leurs infrastructures, ferroviaires, routières ou portuaires. C’est le cas du port de Colombo, au Sri Lanka, pays dont la Chine détient un huitième de la dette.
Les Chinois estiment que l’Occident est mal placé pour leur donner des leçons de morale internationale. À leurs yeux, n’est-ce pas lui qui a inventé la stratégie des comptoirs commerciaux et qui pratique encore largement une politique de sanctions contre les pays avec qui il diffère politiquement ? Quelle agression internationale l’île de Cuba a-t-elle donc commise pour mériter d’être boycottée par l’Amérique depuis 1960 ?
Les Chinois reprochent également à l’Occident son « deux poids, deux mesures » en matière de droit international, hypocritement enveloppé dans la morale des droits de l’homme et de la démocratie. N’est-ce pas lui qui, sans mandat de l’ONU, a fait la guerre à la Serbie pour aider les sécessionnistes albanophones du Kosovo ? N’est-ce pas lui qui, sans mandat de l’ONU, a détruit les États d’Irak et de Libye ?
La Chine a rejeté avec laconisme le communiqué du G7. Elle ne veut pas en faire trop, car elle souhaite continuer à commercer avec l’Occident. En 2022 son excédent commercial envers l’Amérique se montait à quelque 320 milliards de dollars. Elle va d’abord s’attacher à consolider ses positions dans son voisinage immédiat, comme l’a montré le sommet du 19 mai 2023 entre Xi Jinping et les présidents des cinq anciennes républiques soviétiques d’Asie centrale. Elle va être prudente à l’égard de Taïwan, dont la réintégration au sein de la Chine par la force serait hasardeuse. Commercialement, elle va faire le dos rond : certes l’Amérique préconise le « découplement » des économies chinoise et occidentales, mais l’Europe se contente de la prévention des pénuries sur les produits stratégiques.
Pendant les quarante ans qui séparent la fin du maoïsme de l’apparition du Covid, l’Occident a travaillé main dans la main avec la Chine. La fin de la coopération signifie-t-elle la guerre ? Pas obligatoirement. Mais un impitoyable match Occident-Chine pour contrôler le reste du monde a bel et bien commencé.