Iranian revolutionary guards (Reuters)_0
Crédit photo : Reuters

Il y a deux ans et demi, le Royaume d’Arabie saoudite pouvait encore se targuer d’être, grâce à sa richesse et grâce à ses alliances, une puissance capable de changer la donne stratégique au Moyen-Orient. C’était l’époque où le nouveau président du pays le plus puissant du monde (les Etats-Unis d’Amérique) lui accordait sa première visite à l’étranger. C’était l’époque où l’on pensait que la privatisation de la compagnie nationale Aramco pourrait rapporter quelque 2000 milliards de dollars, qui seraient aussitôt investis dans les nouvelles technologies. C’était l’époque où le prince héritier et ministre de la défense Mohammed Ben Salmane (MBS) se vantait d’avoir les moyens d’effectuer des opérations militaires sur le territoire iranien.

Ce n’est plus du tout le cas aujourd’hui, où le Royaume apparaît comme l’« homme malade » du Moyen-Orient. Il étale sa faiblesse, militaire, politique et diplomatique. Militairement, il vient de subir trois revers importants. Ses installations pétrolières stratégiques ont été, le 14 septembre 2019, attaquées avec succès par des drones et des missiles de croisière. Les Houthis ont revendiqué cette attaque, en réplique aux bombardements que leur fait subir l’armée de l’air saoudienne. Les Houthis sont des montagnards chiites du Nord du Yémen, qui se sont emparé de la capitale Sanaa en septembre 2014 et à qui MBS a décidé de faire la guerre en avril 2015. Malgré la cherté des équipements dont elle est dotée, l’armée saoudienne s’est montrée incapable de réduire à quia ces guerriers en sandales. Elle vient de subir un échec à sa frontière, où l’une de ses brigades est tombée dans une embuscade tendue par les Houthis, qui ont fait des centaines de prisonniers.

Politiquement, le Royaume saoudien aurait pu rallier à sa cause un nombre importants de Yéménites et remettre au pouvoir le président régulièrement élu Mansour Hadi, qui avait fui vers Riad. En effet les Houthis ne sont qu’une minorité au Yémen. Mais en pratiquant des bombardements indiscriminés sur Sanaa, en commettant bavures sur bavures dont sont victimes écoles et hôpitaux (et tout récemment une prison où étaient gardés des prisonniers de guerre saoudiens !), en provoquant la famine dans le pays, les Saoudiens se sont aliéné le petit peuple du Yémen. Le Royaume est de surcroît politiquement faible chez lui. Il ne bénéficie plus de la loyauté de la minorité chiite qui peuple l’Est de son territoire, là où se trouvent les champs pétroliers. Les chiites saoudiens n’ont jamais pardonné à leurs princes sunnites l’exécution, en janvier 2016, de leur cheikh Nimr Baqr al-Nimr. Cet ayatollah avait certes manqué de révérence à l’égard de la famille royale des Saoud, mais il n’avait commis aucun crime de sang.

Diplomatiquement, le Royaume a perdu le soutien inconditionnel des Etats-Unis d’Amérique, dont il bénéficiait depuis 1945. Après les attaques du 14 septembre 2019 (que le Département d’Etat américain attribue, sans preuve irréfutable, aux forces iraniennes davantage qu’à leurs amis houthis), le président Donald Trump s’est contenté d’encourager les Saoudiens à « l’autodéfense ». C’était, en substance, leur dire : « Comptez sur vos propres forces ! » Le Royaume est très impopulaire aux Etats-Unis, depuis l’assassinat barbare de l’opposant Khashoggi – qui était un protégé de la CIA et qui écrivait au Washington Post- au consulat saoudien d’Istanbul, en octobre 2018. Les Américains n’ont aucune envie de faire la guerre pour protéger la monarchie wahhabite saoudienne.

MBS, qui s’est révélé incapable de protéger son propre territoire, ne se vante plus de pouvoir faire la guerre à l’Iran. Il dit même que ce serait une catastrophe et il implore la communauté internationale de s’en apercevoir. Dans sa propre région, il est de plus en plus isolé. Les Emiratis ne le soutiennent plus que du bout des lèvres : au Yémen du sud ils jouent un jeu différent du sien, et ils savent envoyer des délégations à Téhéran pour maintenir le contact avec la Perse chiite. De sa faute, il s’est brouillé avec le Qatar, qu’il a cherché à vassaliser et à qui il a imposé un blocus. Ce petit pays a tenu bon, en activant sa vieille alliance avec Ankara.

La faiblesse de Riad a fait basculer le rapport de force en faveur de Téhéran dans le Golfe persique. Les Iraniens font preuve de remarquables qualités de guerre hybride, avec un matériel qui semble indétectable. Toute la question aujourd’hui est de savoir si les mollahs sauront bien gérer ce léger basculement en leur faveur. S’ils essaient de pousser encore leur avantage militaire, ils risquent de réveiller l’aigle américain et d’en devenir la proie. S’ils savent rester raisonnables, leur patience paiera, car Trump, qui respecte leur détermination et leur force, rêve de conclure un grand deal avec eux…

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