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Le ministre iranien des Affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif, le 22 juin 2014 à Téhéran
 afp.com/Atta Kenare

Né en 1960 à Téhéran, diplômé de deux universités américaines en droit international, Mohamed Zarif est ministre des Affaires étrangères de la République islamique d’Iran depuis 2013. Il m’a donné cet entretien, à son bureau de Téhéran, dans un anglais parfait.

Le Figaro – Avez-vous été surpris lorsque, le 23 septembre 2018, en marge de l’assemblée générale de l’ONU à New-York, Federica Mogherini – haut représentant de l’Union Européenne pour les affaires étrangères – a dit que l’UE allait créer un Fonds commun de créances, aussi appelé SPV (Special Purpose Vehicle) pour maintenir son commerce avec l’Iran en dépit des sanctions américaines ?

Mohamed Javad Zarif – Depuis de nombreux mois, nous nous étions préparés nationalement et internationalement à l’hypothèse d’un retrait américain du JCPOA (Joint Comprehensive Plan Of Action, l’accord nucléaire international signé à Vienne le 14 juillet 2015, par lequel l’Iran acceptait d’encadrer son programme nucléaire en échange de la levée des sanctions internationales, NDLR). Après tout, Trump l’avait annoncé dans sa campagne électorale. La Russie, la Chine et les trois signataires européens de cet accord (France, Allemagne, Royaume-Uni, NDLR) avaient envisagé toutes les hypothèses. Federica Mogherini est allée très loin pour sauver le JCPOA. Ce SPV est une excellente initiative de l’UE, qui doit cependant encore trouver un État membre acceptant d’héberger cette structure financière de compensation.

– La CNPC, compagnie nationale pétrolière chinoise, ne semble pas très pressée de remplacer, dans l’exploitation du gisement de South Pars, la compagnie française Total, partie d’Iran pour échapper aux représailles américaines. La Chine, votre premier partenaire commercial, ne s’est pas beaucoup exprimée sur le SPV. Ne vous laisserait-elle pas tomber ?

– De tout temps, y compris pendant la précédente vague de sanctions, la Chine a été un partenaire fiable pour l’Iran. Maintenant, elle a ses propres problèmes, l’Amérique lui livre une guerre commerciale. Nous comprenons que la Chine ait ses priorités. Mais nous attendons d’elle, comme de tous les autres signataires du JCPOA, qu’elle continue à remplir ses obligations et à investir en Iran. Pour la treizième fois, l’AIEA (Agence Internationale de l’Énergie Atomique de Vienne) a certifié que l’Iran appliquait entièrement l’accord nucléaire du 14 juillet 2015.

– Sur quel pays vous appuierez-vous pour résister aux sanctions américaines unilatérales déclenchées le 5 novembre dernier, qui violent la résolution 2231 du Conseil de sécurité de l’ONU de décembre 2015 ?

– Dans les difficultés, nous nous appuyons seulement sur la République Islamique d’Iran. Mais nous attendons de nos partenaires commerciaux qu’ils respectent la légalité internationale exprimée par cette résolution du Conseil de sécurité. Durant la guerre d’agression de l’Irak contre nous (1980-1988), nous avons dû compter uniquement sur nous-mêmes. Toutes les puissances étaient du côté de l’Irak : l’URSS lui fournissait des Migs, l’Amérique des photo-satellites, la France des Exocets, le Royaume-Uni des chars, l’Allemagne des armes chimiques…

– Il ne semble pas que les Russes vous soutiennent beaucoup…

– Le Russie est un excellent partenaire commercial et politique pour nous. Elle nous comprend car elle est elle-même victime des sanctions américaines. Les Américains bousculent tous nos voisins pour qu’ils nous boycottent mais ça n’a pas l’air de marcher.

– Est-ce que les Russes conditionnent leur soutien au JCPOA à un rapprochement de vos positions sur la question syrienne ?

– Non. Sur le dossier syrien, nous entretenons une excellente coopération avec les Russes et également avec les Turcs, ce qui nous a permis de réussir là où d’autres ont totalement échoué. Les trois pays s’entendent pour prendre les réalités du terrain telles qu’elles sont, pour rétablir l’unité de la Syrie, pour éliminer les terroristes et pour arrêter définitivement ce bain de sang. J’ai expliqué à nos amis syriens et russes qu’il ne fallait pas que ce soit au prix de nouveaux tués que le gouvernement de Damas reprenne le contrôle de la poche d’Idlib (Nord-Ouest de la Syrie, NDLR). On a accusé l’Iran de ne vouloir qu’une solution militaire en Syrie. La vérité est le contraire : nous souhaitons une solution politique, avec de nouvelles élections où tous les Syriens, réfugiés compris, pourront s’exprimer librement. A la longue, il est évident que la sécurité de la région et le droit international exigent le retour sous le contrôle du gouvernement de Damas de l’ensemble du territoire syrien.

– Récemment, certains hauts responsables iraniens se sont vantés de ce que l’Iran ait pris le contrôle de quatre capitales arabes (Bagdad, Damas, Beyrouth, Sanaa). Les Américains ont dit qu’ils allaient ramener le diablotin dans sa boîte. Que leur répondez-vous ?

– Cette vantardise n’est ni prudente, ni correcte. Personne ne peut prétendre contrôler un peuple qui n’est pas le sien. C’est une insulte, à la fois pour les populations arabes concernées et pour les Iraniens. L’Iran ne cherche qu’à avoir de bonnes relations avec ses voisins. La différence entre les Américains et les Iraniens, c’est que nous sommes chez nous au Moyen-Orient. Nous n’avons jamais agressé militairement aucun pays dans cette région. L’Amérique ne peut pas en dire autant. Nous sommes contre les interventions militaires visant à dicter des solutions à des populations étrangères. Nous, nous sommes des facilitateurs, que ce soit en Afghanistan, en Syrie, au Yémen ou en Irak.

– Est-ce toujours la politique officielle de l’Iran de « rayer Israël de la carte » ?

– Nous avons été toujours clairs sur le sionisme. C’est un expansionnisme. Les sionistes se sont montrés incapables de demeurer en paix avec leurs voisins. Mais nous n’avons jamais songé ou menacé publiquement d’utiliser la force militaire contre quiconque dans la région. Depuis le milieu du XVIIIe siècle, l’Iran n’a jamais fait la guerre, si ce n’est pour se défendre contre une agression.

– Pourquoi, vous les Iraniens, êtes obsédés par Israël qui est si loin de chez vous ? Après tout vous ne vous souciez guère de l’annexion du Tibet par la Chine en 1950, deux ans après la création d’Israël…

– Nous pensons simplement que tous ceux qui vivent en Palestine, qu’ils soient juifs, chrétiens ou musulmans, doivent pouvoir voter pour décider démocratiquement de leur avenir. Les Israéliens font de l’Iran un bouc émissaire ; disent que l’Iran représente une « menace existentielle » pour eux. Netanyahou a même osé menacer l’Iran depuis la centrale nucléaire de Dimona ! Et aucun membre permanent du Conseil de sécurité n’a protesté ! Les Israéliens crient au loup pour cacher le fait qu’ils ont édifié un système d’apartheid sur les territoires qu’ils contrôlent. Nous pensons qu’ils ont volé leurs droits aux Palestiniens. C’est un sentiment très largement partagé dans le monde, et pas seulement chez les musulmans. Regardez le nombre de résolutions onusiennes consacrées à ce conflit !
– Pouvez-vous comprendre les inquiétudes d’Israël quant à votre déploiement militaire le long de sa frontière, côté syrien ?

– Nous sommes militairement présents en Syrie car nous y avons été invités par son gouvernement, uniquement pour y combattre les djihadistes. Tout le monde reconnaît la contribution iranienne à la lutte contre le terrorisme et l’extrémisme. Nous n’y sommes pas pour d’autres raisons.

– Il y a un autre État, créé juste douze ans avant Israël, qui est le Royaume d’Arabie Saoudite. Est-il, lui, plus légitime qu’Israël ?

– Ce n’est pas à l’Iran de décider qui doit gouverner la péninsule arabique. C’est à ses populations de décider. Au moins, elles n’occupent pas le territoire des autres, elles! Elles n’ont chassé personne. Nous avons des désaccords avec l’Arabie Saoudite sur la manière dont elle opère dans cette région. Nous n’entretenons aucune prétention envers son territoire.

– Vous êtes donc heureux, en tant que musulman, de voir bientôt le prince saoudien Mohamed ben Salman devenir le Gardien des Deux Saintes Mosquées ?

– Dans le monde musulman, il y a toujours eu deux points de vue sur la gestion du pèlerinage et des Deux Saintes Mosquées (La Mecque et Médine, NDLR). Nous avons eu 450 morts dans une bousculade à la Mecque en septembre 2015. Nous pensons que le pèlerinage devrait être géré en commun par les pays musulmans. Mais c’est une question que tranchera le monde islamique, comme il appartient aux Saoudiens de choisir leur prochain roi…

– La politique iranienne du Président Macron repose sur quatre piliers : le JCPOA, les clauses de terminaison de la suspension de l’enrichissement, le programme balistique et la stratégie régionale de l’Iran. Comprenez-vous que les gens puissent redouter l’expansionnisme perse au Moyen-Orient ?

– Le Président Macron sait que nous ne sommes pas d’accord avec lui. Les clauses de terminaison ne sont pas un sujet car, à la demande de la délégation française, nous avons ajouté au JCPOA un engagement de notre part à ne jamais nous doter de l’arme nucléaire. En termes d’équipement militaire et de déstabilisation de la région, ce n’est pas l’Iran qui peut être critiqué. C’est l’Occident qui a vendu pour des dizaines de milliards de dollars d’armements à l’Arabie Saoudite, qui les utilise pour bombarder la population du Yémen. L’Iran est beaucoup plus raisonnable en termes de dépenses militaires que tous les autres pays de la région. Les Émirats Arabes Unis dépensent annuellement 22 milliards pour leurs achats d’armements alors que leur population indigène ne dépasse pas un million d’âmes. Le budget militaire de l’Iran, qui a une population de 80 millions d’âmes, tourne autour de 15 milliards de dollars.

– Le Président Trump a proposé publiquement de dialoguer sans conditions avec votre leader suprême Ali Khamenei. Pourquoi l’Iran n’a-t-il pas saisi la balle au bond, comme l’a fait la Corée du Nord ? Est-ce parce que vous avez des institutions compliquées, où jamais un seul homme ne décide de tout ?

– Vous voulez dire parce que nous sommes une démocratie et pas une dictature ?… Nous avons passé deux ans et demi à négocier le JCPOA avec la délégation des États-Unis d’Amérique. Peu importe à nos yeux que ses dirigeants changent: nous ne reconnaissons que les États, pas les administrations successives. Cet accord a été sanctuarisé par la résolution 2231 du Conseil de sécurité, votée par les États-Unis (même pas par nous, qui ne faisons pas partie du Conseil !). Et ensuite, tout d’un coup, les États-Unis se retirent ! Le problème est que, à Washington, siège un gouvernement qui n’est pas fiable. Regardez le dernier G7 au Québec. Trump signe la déclaration commune ; il s’en va ; et quelques heures après il se récuse ! Nous avons trop de respect pour nous-mêmes pour accepter de négocier dans ces conditions-là.

– Emmanuel Macron a dit qu’il se rendrait en Iran, quand les circonstances le permettront. Êtes-vous prêts à rendre le contexte favorable à une telle visite ?

– C’est une décision qui appartient au Président Macron. Quant à nous, nous voulons accroître le champ de notre coopération avec la France. La France et l’Iran sont deux payés visés par le terrorisme. Il est de l’intérêt des deux pays qu’ils coopèrent encore davantage dans ce domaine.

Propos recueillis à Téhéran par Renaud Girard

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