Dans l’interview télévisée qu’il a donnée à BFM TV dimanche 15 avril 2018 au soir, le président de la République s’est félicité d’avoir convaincu les Etats-Unis d’Amérique de ne pas abandonner le terrain syrien. 2000 hommes de leurs Forces spéciales sont actuellement déployés au nord de la Syrie, au Rojava, vaste bande de terrain jouissant d’une autonomie de fait par rapport à Damas, et contrôlée par les FDS (Forces démocratiques syriennes), lesquelles mélangent une majorité de combattants progressistes kurdes issus des YPG (Unités de protection du peule), et une minorité de combattants arabes laïcs. Les Américains ont efficacement épaulé leurs alliés kurdes, dans leur combat acharné contre l’Etat islamique. La France, qui entretient également quelques forces sur place, ne peut envisager d’y rester seule, face aux risques de résurrection des djihadistes. En outre, elle sait qu’elle a besoin de la présence dissuasive des Américains, pour contrer l’expansionnisme de l’armée turque, qui a déjà pris, le 18 mars 2018, la ville kurde d’Afrine (nord-ouest de la Syrie), et qui rêve de franchir l’Euphrate pour poursuivre vers l’Est son nettoyage ethnique anti-kurde. Car l’ennemi principal du président turc, le Frère Musulman Erdogan, ce n’est pas l’Etat islamique, mais ce sont les Kurdes, qui se trouvent, en Syrie, être nos amis.
Emmanuel Macron ne s’est-il pas réjoui trop tôt ? Quelques heures après sa prestation télévisée, la porte-parole de la Maison Blanche, Sarah Sanders, a réagi, sans le nommer, mais en affirmant exactement le contraire : « La mission américaine n’a pas changé. Le président a dit clairement qu’il veut que les forces américaines rentrent dès que possible ». Il ne faut pas se méprendre sur la personnalité de Donald Trump. Il est à l’opposé de George W Bush. C’est tout sauf un néo-conservateur. Il ne pense pas que l’Amérique ait vocation, ni intérêt, à combattre les tyrannies et installer la démocratie partout dans le monde. Il estime que le Moyen-Orient est une région compliquée et intrinsèquement instable, où l’Amérique n’a que des coups à prendre, et où elle s’est déjà beaucoup trop impliquée par le passé. Il a dit que les peuples du Moyen-Orient devaient désormais « se prendre en charge eux-mêmes ». La stratégie de Trump au Levant a été essentiellement punitive. Il s’agissait pour lui de punir l’Etat islamique, qui avait osé kidnapper et assassiner des citoyens américains, et de punir l’Etat baasiste syrien, qui s’était permis d’utiliser des armes chimiques, en violation des Conventions internationales et de l’accord Lavrov-Kerry de septembre 2013. Maintenant que c’est fait, Trump veut ramener les « boys » à la maison.
Emmanuel Macron a peu de chance de le faire changer d’avis sur ce point, lorsqu’il le rencontrera en tête-à-tête, à l’occasion de son voyage à Washington, le 23 avril 2018. Le président français ne parviendra sans doute pas non plus à intéresser son homologue américain aux problématiques de changement climatique : les Etats-Unis ne ratifieront pas les accords de la COP-21, signés à Paris en décembre 2015, et dont Trump les a retirés dès le début de son mandat.
En matière commerciale, Trump est profondément protectionniste et il l’a toujours été. La France est un partenaire diplomatique et militaire qui compte encore aux yeux des Américains, mais elle n’est plus un partenaire économique crédible, tant son industrie a décroché par rapport à l’industrie allemande. La France et l’Allemagne ensemble peuvent peut-être essayer de ramener Trump à davantage de libre-échangisme, à davantage de respect pour les procédures de l’OMC (l’Organisation mondiale du commerce), mais Macron n’a aucun intérêt à se lancer seul dans ce combat hasardeux. La voix de la France dans le domaine économique ne sera entendue que lorsqu’elle aura réussi à remettre de l’ordre dans ses comptes publics et à respecter les engagements qu’elle a librement pris au sein de l’Union européenne.
Sur quoi le président français devra-t-il alors se concentrer ? Il peut faire bouger l’Amérique sur un grand dossier stratégique. C’est celui de l’Iran. En se montrant persuasif, Macron est capable de sauver l’accord nucléaire avec l’Iran du 14 juillet 2015. Personne n’a intérêt à ce que recommence au Moyen-Orient une course aux armements atomiques. Dans son discours télévisé où il faisait part de sa décision de bombarder la Syrie, Trump n’a-t-il pas dit qu’il espérait que l’Amérique se « réconcilierait bientôt avec la Russie, et même avec l’Iran » ? Un homme qui s’est montré capable de tendre la main au dictateur nord-coréen, peut très bien décider de faire le même geste à l’égard des dirigeants persans. La France a su garder des liens diplomatiques efficaces avec Téhéran : elle est donc toute désignée pour jouer le rôle d’« honest broker » (intermédiaire sincère) entre l’Amérique et l’Iran, dont l’antagonisme demeure un contresens géopolitique.