Japon, Corée du Sud, Chine, Vietnam, Philippines. Du 5 novembre au 14 novembre 2017, Donald Trump aura consacré un très long voyage à l’Asie, le plus long qu’ait effectué un président américain depuis un quart de siècle. Il aura, à cette occasion, participé à deux grandes réunions multilatérales, le dîner de gala à Manille du 50ème anniversaire de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (Asean, dix pays : Brunei, Birmanie, Cambodge, Indonésie, Laos, Malaisie, Philippines, Singapour, Thaïlande, Viêt Nam) et le sommet à Hanoï de l’Asie de l’est, où, aux membres de l’Asean s’ajoutent les grandes puissances nucléaires asiatiques (Chine, Russie, Inde) ainsi que le Japon, la Corée du Sud, l’Australie, la Nouvelle-Zélande. Il se sera entretenu en tête-à-tête, parfois à plusieurs reprises, avec tous les grands leaders de cette région, qui est économiquement la plus dynamique de la planète.
Le président des Etats-Unis sait qu’il a deux grands défis stratégiques à relever en Asie, l’un à court terme, l’autre à long terme. A court terme, il lui faut résoudre le problème que pose à l’Amérique et à ses alliés historiques, Japon et Corée du Sud, l’accélération de la menace balistique nucléaire en provenance du régime communiste de Corée du Nord. A long terme, il lui faut trouver un modus vivendi avec la Chine, dont l’expansionnisme maritime non seulement remet en cause la suprématie navale que les Etats-Unis exercent en Asie depuis leur victoire sur le Japon impérial en 1945, mais aussi commence à sérieusement inquiéter les puissances riveraines des Mers de Chine orientale et méridionale.
Trump a affirmé qu’il serait inacceptable pour les Etats-Unis de voir la Corée du nord se doter d’armes atomiques opérationnelles. Mais elle en train de le faire et les Etats-Unis n’auront très bientôt pas d’autre choix que d’accepter cette nouvelle réalité stratégique. Car personne de sérieux à Washington, au Pentagone comme au Département d’Etat, ne suggère des frappes préventives contre la Corée du Nord. Son jeune dictateur, Kim Jong-un, n’est ni le Saddam Hussein de 2003, ni le Kadhafi de 2011. En cas de guerre préventive contre son régime, il semble avoir les moyens d’infliger des représailles très substantielles contre la Corée du Sud et contre le contingent de 30000 soldats américains qui y stationne. Le président Moon, comme l’écrasante majorité des parlementaires sud-coréens, ne veut surtout pas d’une guerre préventive américaine, qu’il juge beaucoup trop dangereuse pour sa population civile. En revanche, de plus en plus de Coréens du sud souhaitent que leur pays devienne une puissance nucléaire. C’est inquiétant pour la non-prolifération que recherche l’Onu depuis les années 1960, mais il serait injuste de reprocher aux Coréens du sud de vouloir se doter, face à une menace nucléaire avérée, de moyens de dissuasion équivalents. Dès lors que les missiles nucléaires nord-coréens intercontinentaux seront capables de frapper directement le territoire nord-américain, qui pourrait garantir à la population sud-coréenne que l’Amérique serait prête à sacrifier pour elle ses villes de Los Angeles ou de San Francisco ?
Recevant le président américain à Tokyo, le premier ministre japonais Shinzo Abe a suggéré un renforcement drastique des sanctions commerciales et financières contre le régime de Pyongyang. A Séoul, les élites sont plus prudentes, car la Corée du sud sait que si son voisin du nord s’effondre économiquement et politiquement, c’est elle qui en subirait les principales conséquences. Trump va en fait devoir relever le défi de la désunion de ses deux alliés japonais et coréen. L’occupation japonaise de la péninsule coréenne (1910-1945) a laissé des traces profondes dans l’inconscient collectif coréen. En Europe continentale, les deux plus puissants alliés de l’Amérique, ennemis entre eux naguère, sont devenus les meilleurs amis du monde. En Asie, ce n’est pas le cas.
A long terme, l’Amérique devra obtenir de la Chine qu’elle précise ses ambitions territoriales et d’influence en Asie et dans le Pacifique. En 2010, alors que les incidents navals se multipliaient en mer de Chine méridionale, les autorités de Pékin expliquaient urbi et orbi qu’aucune médiation internationale (comme le tribunal arbitral de La Haye) n’était nécessaire et que la Chine allait traiter ces problèmes de souveraineté maritime par des conversations exclusivement bilatérales. Pékin proclamait alors que la présence américaine en Asie n’était plus légitime. Le résultat contraire advint : tous les pays riverains demandèrent aux Etats-Unis de revenir !
Dans le rapport sino-américain, qui est le « Grand Jeu » du XXIème siècle, les Etats-Unis souffrent de l’absence d’une stratégie de très long terme, telle que celle que Xi Jinping a dessinée avec ses « Routes de la Soie ». Mais ils ont de vrais amis en Asie de l’est, alors que la Chine n’en a pas…