Est-il Pierre le Grand de Russie ou n’est-il que Charles XII de Suède ? Va-t-il réussir à moderniser son pays tout en accroissant sa sphère d’influence régionale comme l’a fait le premier (monarque absolu de 1694 à 1725) ou son règne va-t-il sombrer dans les aventures étrangères ratées comme celui du second (1697-1718) ? Telle est la question qu’on se pose en regardant gouverner « MBS », le jeune prince héritier d’Arabie saoudite, Mohammed bin Salman (32 ans), à qui son vieux père malade, le roi Salman (81 ans), semble avoir confié tous les pouvoirs au mois de juin 2017.
En politique intérieure, MBS vise à accomplir une transformation socio-économique complète de son pays. Qui est la plus grande pétromonarchie du Golfe Persique (30 millions d’habitants, quatre fois la superficie de la France) et le seul membre arabe du G-20.
Sur le plan religieux, dépassant les racines wahhabites du régime, MBS compte ramener la société saoudienne à un islam « modéré, ouvert au monde et aux autres religions », comme il l’a répété le 24 octobre 2017 à Riyad, à l’occasion d’une conférence d’investisseurs internationaux. Selon lui, les dérives islamistes au Moyen-Orient – y compris dans son pays – sont dues aux tentatives d’imiter la Révolution islamique iranienne de 1979. « 70% des Saoudiens ont moins de trente ans ; nous n’allons pas gâcher 30 ans de notre vie à combattre les modes de pensée extrémistes, nous allons les détruire maintenant et commencer immédiatement ! » : telle est la nouvelle politique religieuse que MBS assigne au Royaume. Hostile à la vulgate islamiste qui assène que les femmes ne savent pas bien gérer leur liberté, MBS a pris la décision de les autoriser à conduire.
En politique économique, conseillé par des cabinets de consultants américains, MBS veut diversifier la production de valeur ajoutée, en développant les services, le numérique, les énergies renouvelables, le tourisme (projet pharaonique sur le Golfe d’Aqaba). Il veut passer d’une société de fonctionnaires et d’assistés à une société d’entrepreneurs. Il compte privatiser les grands conglomérats d’Etat, dont la société pétrolière Aramco. Il a lancé une vaste opération anti-corruption, arrêtant, le 4 novembre 2017, dans une rafle surprise, pas moins de 11 princes et 200 ministres, hauts fonctionnaires ou hommes d’affaires de premier rang.
MBS réussira-t-il sa modernisation intérieure ? Saura-t-il passer des mots aux actes ? Les Etats-Unis ont promis qu’ils appuieraient toutes ses initiatives…
En politique étrangère, les perspectives qu’offre MBS sont beaucoup moins flatteuses. Son seul succès est d’avoir conservé intact le pacte stratégique liant le Royaume et l’Amérique, scellé en février 1945 par Roosevelt et par Ibn Séoud, son grand-père. Mais que vaut vraiment une alliance militaire avec les Etats-Unis ? Il faudrait demander aux Vietnamiens du Sud de 1975.
En diplomatie – domaine qui exige prudence, tact, expérience, culture historique, compréhension des motivations des pays rivaux -, tout se passe comme si MBS souffrait grandement de l’impulsivité qui lui réussit si bien en politique intérieure. En 2015, à peine nommé ministre de la Défense, il s’est lancé dans une coûteuse guerre au Yémen, contre les tribus houthistes contrôlant Sanaa et le nord du pays, à coups de bombardements aériens. Il n’a pas vaincu ces montagnards (alliés à l’ancien président Saleh) mais a provoqué une catastrophe humanitaire sans précédent. En 2012, les Saoudiens s’étaient déjà engagés sans nécessité dans une autre guerre civile, en Syrie, en finançant et en armant, sur le sol turc, les unités rebelles les plus islamistes, dans le but de faire chuter Assad. En mettant en place, à partir du mois de juillet 2017, un embargo contre le Qatar, MBS s’est lancé dans une troisième aventure étrangère, tout aussi contreproductive : il a détruit le Conseil de Coopération du Golfe des monarchies sunnites, sans réussir à soumettre le petit émirat, qui a fait venir des soldats turcs en renfort.
Aujourd’hui, les Saoudiens accusent le petit Liban de leur faire la guerre, sous prétexte que participe à son gouvernement le Hezbollah chiite, lequel conseillerait militairement les Houthistes. Un raisonnement pour le moins tiré par les cheveux… MBS a convoqué le premier ministre libanais à Riyad, où il l’a retenu et obligé à lire un communiqué de démission. En humiliant Saad Hariri, MBS a obtenu le résultat inverse à celui qu’il cherchait : il a durablement affaibli le camp sunnite au Liban et a permis au Hezbollah de prêcher à bon compte la modération et l’unité nationale.
Dans sa diplomatie, le problème de MBS est d’être aveuglé par la guerre froide qui oppose son Royaume aux Iraniens chiites. Comme il ne peut prétendre les attaquer frontalement, il se lance dans des actions périphériques. Ce sont les pires, car on ne les contrôle jamais entièrement…