Pourquoi la reconnaissance de Jérusalem comme capitale d’Israël, par le président des Etats-Unis, le 6 décembre 2017, a-t-elle suscité tant d’émotion, non seulement dans l’ensemble du monde arabo-musulman, mais aussi en Europe ? Après tout, cela fait près de 70 ans que la Knesset et le premier ministre d’Israël siègent à Jérusalem. Après tout, Jérusalem était déjà la capitale de l’Etat hébreu, sous le roi Salomon, il y a 3000 ans. Il y a 2500 ans, les Juifs y édifièrent un grand temple, dont subsiste le mur occidental, le fameux Mur des Lamentations. Alors, Donald Trump ne s’est-il pas borné à reconnaître un état de fait ? C’est d’ailleurs ce qu’il dit, et son argument est parfaitement recevable.

Mais cette décision de transférer l’ambassade américaine de Tel Aviv à Jérusalem, qui répond à une invitation du Congrès vieille de plus de vingt ans, pose deux grands problèmes diplomatiques.

Premièrement, elle est en contradiction avec tous les textes onusiens signés jusqu’à présent par les Etats-Unis. Le plan de partage de la Palestine de 1947 (alors sous mandat britannique) prévoyait un Etat juif, un Etat arabe et un statut international pour Jérusalem, en sa qualité de ville sainte pour les trois grandes religions monothéistes, le judaïsme, le christianisme, l’islam. Les Juifs héritaient de 58% du territoire de la Palestine mandataire et les Arabes 42%. Ce plan de partage n’a pas été appliqué car une fois le dernier soldat britannique parti en mai 1948 et l’indépendance proclamée par David Ben Gourion, les Etats arabes (Egypte, Liban, Syrie, Jordanie, Irak) ont attaqué le tout jeune Etat juif. Comme ils ont perdu la guerre, l’Etat d’Israël a étendu sa superficie à 78% de la Palestine mandataire, les 22% restants étant contrôlés par l’armée jordanienne. En 1967, grâce à sa victoire dans la guerre des Six Jours, Israël conquit notamment Jérusalem-Est (et le Mur des Lamentations), la Cisjordanie, la bande de Gaza, le désert égyptien du Sinaï et le plateau syrien du Golan. La résolution 242 du Conseil de sécurité des Nations Unies appela les Israéliens à se retirer des territoires qu’ils venaient d’occuper, en échange d’une paix avec tous les Etats arabes. La « ligne verte » (ligne du cessez-le-feu de février 1949) devint ainsi, par la vertu de la résolution 242, la frontière internationalement reconnue de l’Etat d’Israël. Mais cette résolution ne fut jamais appliquée. A la faveur des accords de paix de Camp David (septembre 1978), Israël rendit le Sinaï à l’Egypte. Dans son traité de paix d’octobre 1994 avec Israël, le royaume hachémite de Jordanie renonça à toute prétention sur la Cisjordanie, laquelle avait vocation à devenir, selon les termes des accords Rabin-Arafat de septembre 1993 (négociés secrètement à Oslo, avant d’être signés sur la Pelouse de la Maison Blanche), le territoire du futur Etat palestinien. Mais les accords d’Oslo furent sabotés par les attentats du Hamas et la mauvaise volonté du Likoud. Voilà pourquoi il n’y a toujours pas de paix au Proche-Orient.

Le statut final de Jérusalem devait être l’une des composantes d’un traité de paix israélo-arabe adoubé par l’Onu. Par sa décision pour le moins précipitée, Trump a détruit une voie de négociation dont les Etats-Unis étaient pourtant les parrains depuis son origine.

Le deuxième problème que pose la décision de Trump est qu’elle met fin à la position d’arbitre de l’Amérique dans ce conflit. Jusqu’à maintenant, bien que marraine d’Israël en 1948, elle avait toujours tenu à garder une position équilibrée, ce qui lui permettait d’être un efficace « honest broker » (intermédiaire sincère). En novembre1956, c’est Washington qui oblige les Anglais et les Français, alliés des Israéliens, à mettre fin à leur expédition de Suez contre Nasser. En octobre 1973, c’est Kissinger qui convainc les Israéliens de desserrer leur étreinte sur la 3ème Armée égyptienne encerclée. En octobre 1991, c’est le président G. H. Bush qui provoque la conférence de paix de Madrid, invitant une délégation palestinienne, malgré la farouche opposition d’Israël.

Tous les géopoliticiens connaissent la solution raisonnable pour Jérusalem. Sa partie occidentale devrait rester la capitale de l’Etat d’Israël, et son quartier arabe pourrait devenir, sous le nom d’Al Qods, la future capitale de l’Etat palestinien. Le Mur des Lamentations devrait bien sûr devenir définitivement israélien. En revanche, il ne serait pas anormal que les deux saintes mosquées fassent partie du territoire palestinien.

Lorsqu’il était simplement politique, le problème territorial israélo-palestinien semblait solvable. Maintenant qu’une partie croissante des deux parties y mêle de la religion (partis religieux israéliens comme Hamas palestinien), la solution semble quasi hors de portée. La fin de l’Amérique comme arbitre potentiel est, dans cet interminable conflit, une mauvaise nouvelle de plus.

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