Cela fait cent ans que la Russie a perdu sa monarchie héréditaire mais il y a toujours eu une sorte de tsar qui la gouvernait depuis le Kremlin. En cent ans, ses trois tsars les plus marquants – et les plus déterminés – ont été Lénine, Staline et Poutine.
Après être parvenu au pouvoir suprême en 2000, pourquoi Poutine jouit-il encore d’une grande popularité dans son pays, aux dires mêmes des enquêtes d’opinion américaines ? Parce que la population lui sait gré de deux grands gestes : avoir sorti la Russie de l’immense chaos dans lequel l’avait mise l’effondrement du communisme et la « libéralisation » sauvage de l’économie ; avoir rendu à la Russie du prestige dans le monde.
Le cinéaste quatre fois oscarisé Oliver Stone considère néanmoins que l’Occident est très injuste avec Poutine, le traitant comme un bouc-émissaire, cherchant par tous les moyens à l’ostraciser. Pour les grands médias occidentaux qui font l’opinion, Poutine, c’est un diable, un personnage forcément maléfique. Par ce gigantesque travail de journalisme – une douzaine de rencontres en tête-à-tête avec le Président, une trentaine de voyages en Russie, des centaines d’heures d’archives visionnées -, le metteur en scène américain a voulu donner la parole à la défense. Il a voulu donner une chance à Poutine de s’exprimer, sans qu’on cherche à couper ses propos, à les déformer, à les sur-interpréter. « Je n’ai pas cherché à le transformer, j’ai juste voulu le montrer tel qu’il était », a confié Oliver Stone à un journaliste de CNN. Poutine répète à plusieurs reprises qu’il a tendu une main sincère à l’Occident, mais qu’il s’est fait à chaque fois rabroué.
L’intérêt de ces quatre heures de documentaire est qu’on en ressort en connaissant beaucoup mieux qu’avant le maître de toutes les Russies, même pour nous, qui l’avons interviewé en tête-à-tête le 29 mai 2017 (cf Le Figaro du 31 mai 2017). Il n’y a pas une allusion historique qui ne soit expliquée par une archive filmée, ce qui donne un caractère pédagogique à ce documentaire et lui permet d’être apprécié autant par le lycéen de Terminale que par le professeur aux Langues O. Avec une direction de la photographie et un montage particulièrement originaux, ce qui ne nous surprend guère de la part du réalisateur de Platoon.
Le documentaire aborde tous les points importants de l’Histoire de l’après guerre froide, à commencer par les promesses faites par Kohl et Baker à la Russie sur l’Otan, après que Moscou eut accepté de retirer ses soldats d’Allemagne orientale.
Oliver Stone montre beaucoup d’empathie pour son sujet. Mais il n’y a aucune « question qui fâche » qu’il élude. Le retard que prend l’établissement d’un Etat de droit en Russie ? La catastrophique ingérence dans le Donbass à l’été 2014 ? Les questions sont posées.
Certaines réponses nous laissent sur notre faim. Mais, grâce à ce documentaire exceptionnel, nous savons désormais les sujets sur lequel le tsar est à l’aise, et ceux qu’il préfère recouvrir d’un voile pudique.