A Pékin, les 14 et 15 mai 2017, devant vingt-neuf chefs d’Etat ou de gouvernement et des délégations venues du monde entier, Xi Jinping a présidé un forum sur le projet stratégique qui lui tient le plus à cœur : la « nouvelle route de la soie ». Annoncé par le président chinois dès 2013 dans un discours tenu au Kazakhstan, ce programme gigantesque d’extension des voies commerciales sur le continent eurasiatique, ce trait d’union maritime et terrestre entre le Pacifique et la Baltique, entre les mers de Chine et la Méditerranée, est communément appelé OBOR (One belt, one road), soit une ceinture (terrestre) et une route (maritime). En fait, la vision chinoise est aujourd’hui de deux routes maritimes et trois routes terrestres (certaines incluant l’Inde ou la Russie, d’autres non, etc.). L’idée stratégique de l’«atelier du monde» est simple : sécuriser son approvisionnement en matières premières ainsi que les voies d’exportation de ses marchandises.

Xi Jinping a promis d’injecter immédiatement 128 milliards de dollars dans le projet. Mais l’objectif à long terme des Chinois est de rassembler 4000 milliards de dollars pour construire de nouvelles infrastructures – voies ferrées, ponts, routes, tunnels, ports – visant l’acheminement d’un quart du commerce mondial et portant sur un espace où vivent 63% des habitants de la planète. Les nouvelles infrastructures de la route maritime de la soie, incluent des ports aussi différents que Gwadar (ouest du Pakistan), Colombo, Djibouti ou Le Pirée.

Xi Jinping a insisté sur le côté pacifique de l’OBOR. On n’a pas de peine à le croire, tant on sait que les Chinois préfèrent se voir en commerçants qu’en guerriers. Contrairement à l’Amérique et à la Russie, la Chine contemporaine n’a pas de grande victoire militaire à son actif. Elle ne cherche pas à briller par les armes – même si elle sait utiliser l’intimidation militaire dans sa quête du contrôle de la mer de Chine méridionale. Elle veut devenir le suzerain incontesté de toute l’Asie, mais par une stratégie à la Sun Tzu, c’est-à-dire en poussant l’adversaire à renoncer de lui-même à la bataille.

Aux pays que traversent les nouvelles routes de la Soie, les Chinois disent : « Investissons ensemble, pour un profit commun. Mais si vous êtes trop pauvres, ce n’est pas grave, nous sommes prêts à investir tout seuls ! » En Europe, c’est un discours qui ne passe pas bien. Certains Européens répondent en souriant : « Vous voulez que nous investissions ensemble dans les infrastructures qui vous permettront de mieux encore nous envahir commercialement ? » Mécontents d’une Chine qui n’est libre-échangiste que quand cela l’avantage, les délégations allemande, française, espagnole, portugaise et grecque ont refusé de signer le communiqué final du forum de Pékin.

Mais, en Asie, c’est un discours qui fonctionne mieux. En fin stratège, Xi Jinping s’est engouffré dans la brèche très imprudemment créée par Donald Trump à la fin janvier 2017, lorsqu’il abandonna unilatéralement le Traité transpacifique TPP. Cet accord de libre-échange commercial, fondé sur des bonnes pratiques environnementales, financières et sociales, réunissait, autour de l’Amérique, des pays à forte croissance potentielle : Australie, Brunei, Canada, Chili, Japon, Malaisie, Mexique, Nouvelle-Zélande, Pérou, Singapour et Vietnam. Obama l’avait signé, mais le Sénat ne l’avait pas encore ratifié.

L’Inde et le Japon sont les seuls pays asiatiques à avoir boycotté le forum de Pékin. Mais les raisons en sont principalement politiques : Delhi n’apprécie pas que l’une des routes terrestres de la soie passe par le Cachemire pakistanais, territoire disputé depuis 1947. L’alliance stratégique entre le Pakistan et la Chine est ancienne et profonde – les Chinois n’hésitant pas à la comparer à la relation entre Israël et les Etats-Unis. Les Indiens redoutent aussi l’ascendant que pourrait prendre les Chinois sur l’île de Ceylan. En froid avec la Pékin en raison d’une dispute territoriale en mer de Chine orientale, les Japonais voient dans OBOR un instrument de l’hégémonisme politique chinois.

Face à cette montée en puissance de la Chine – raisonnée, progressive, souple et sereine -, l’Union européenne brille par son absence de stratégie. En matière commerciale, les Etats-Unis ont une forme de stratégie : ils sont devenus opportunistes. Libre-échangistes et protectionnistes alternativement, au gré de leurs intérêts immédiats. Le 11 mai 2017, ils ont d’ailleurs passé un mini-accord avec Pékin, notamment dans le domaine agro-alimentaire.

En matière commerciale, l’UE a remarquablement réussi sur le plan intérieur (le Marché Unique). Il lui reste à trouver et à appliquer une vraie stratégie face au monde extérieur.

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