Dans un entretien qui fut « franc et approfondi » comme on dit en langage diplomatique, le premier ministre israélien a reçu, le mardi 21 juillet 2015, Ashton Carter. L’Etat juif est la première étape d’un voyage moyen-oriental du secrétaire à la défense des Etats-Unis, qui se rendra ensuite en Arabie saoudite et en Jordanie. L’idée de cette tournée est d’abord de calmer l’irritation des deux principaux alliés régionaux de l’Amérique, après l’accord signé le 14 juillet à Vienne, avec l’Iran, sur son dossier nucléaire, par les six puissances représentant la communauté internationale. Dans cette négociation, c’est l’Amérique qui fut constamment à la barre, les autres puissances se contentant de jouer les « grognards ou les utilités », pour reprendre la jolie formule de François Nicoullaud, notre ancien ambassadeur à Téhéran.

Benjamin Netanyahou a qualifié l’accord d’ « erreur historique ». Aux yeux du chef du Likoud, il permet à l’Iran de reprendre à son gré un programme de construction de la bombe atomique. Les Israéliens auraient voulu un démantèlement complet des installations iraniennes d’enrichissement de l’uranium, condition inacceptable pour les autorités de Téhéran, qui ont toujours affirmé ne pas souhaiter l’arme nucléaire mais seulement leur propre carburant pour leur actuelle et pour leurs futures centrales nucléaires de production d’électricité. Les Américains se félicitent au contraire d’un accord qui donne d’immenses pouvoirs de vérification aux inspecteurs de l’AIEA (Agence internationale de l’Energie atomique de Vienne) et qui prévoit le rétablissement automatique des sanctions, au cas où serait constatée une infraction iranienne.

Les princes saoudiens ont en revanche accueilli avec modération l’accord du 14 juillet, affirmant « espérer bâtir avec l’Iran de meilleures relations dans tous les domaines, sur la base du bon voisinage et de la non-ingérence dans les affaires internes ». Certes, grâce à Wikileaks, on se souvient qu’en mars 2009, le roi Abdallah, s’entretenant à la Maison Blanche avec John Brennan, conseiller pour les affaires de terrorisme, avait appelé les Américains à « couper la tête du serpent », c’est-à-dire à procéder à une attaque militaire contre les sites nucléaires et les centres de commandement militaires de l’Iran. Mais le nouveau roi saoudien Salman se veut pragmatique : que l’Iran se montre conciliant, notamment sur le dossier yéménite, et l’on pourra reconstruire des ponts avec lui.

En fait, au-delà de la guerre civile au Yémen (qui est beaucoup plus tribale que religieuse), la grande base sur laquelle pourrait se construire une réconciliation irano-saoudienne serait une coopération policière et militaire dans la lutte contre l’Etat islamique. Fils idéologique du wahhabisme saoudien, l’organisation du calife Ibrahim s’est désormais libérée de tout contrôle. Elle s’en prend frontalement aux chiites – qui sont les protégés en Irak et en Syrie des Iraniens – car elle les considère comme des apostats. Mais elle menace également la monarchie saoudienne, qu’elle fustige pour sa « corruption » et pour son alliance avec la « diabolique » Amérique. Cette dernière a compris qu’était de son intérêt l’établissement de bonnes relations entre les deux principales puissances riveraines du Golfe Persique. Si Ashton Carter conclut sa tournée par Amman, c’est pour évaluer la manière d’aider au mieux la Jordanie, petit pays de tout temps protégé par l’Amérique, face à la vague du djihadisme. Mais, vaccinées par leur désastreuse expérience irakienne (2003-2010), les autorités de Washington ont compris que seuls des acteurs locaux – et musulmans eux-mêmes – réussiront un jour à éteindre la violence islamiste.

L’exécutif israélien ne montrera-t-il capable d’autant de pragmatisme que la monarchie saoudienne ? Maintenant qu’il a été réélu, Benjamin Netanyahou n’a plus besoin d’agiter l’épouvantail des mollahs de Téhéran pour aller pêcher des voix. Comme l’avaient signalé dans un mémorandum commun tous les anciens chefs des services de sécurité de l’Etat hébreu, faire la guerre à l’Iran constituerait une folie. Le prétendu antagonisme entre Israël et l’Iran ne repose sur aucune base sérieuse. Historiquement, les Perses se sont toujours bien entendus avec les Juifs. Ces derniers furent libérés de Babylone par le grand roi Cyrus II, dont l’empire durera mille ans, avant d’être balayé par les envahisseurs arabes. Sans remonter aussi loin, regardons la situation présente. Il y a huit mille Juifs vivant paisiblement en Iran. C’est dix fois moins qu’il y a quarante ans, mais ceux qui sont restés ne sont pas inquiétés et ont un député au Parlement. Ouvrir une synagogue à Téhéran ne pose pas de problème. A Jeddah ou à Amman, ce n’est pas le cas. Les provocations répétées de l’ancien président iranien Ahmadinejad (2005-2013), qualifiant la Shoah de « mythe » et les attentats du 11 septembre de « grande invention », constituent une aberration dans l’Histoire du pays. Durant le nazisme en Europe, le consul d’Iran à Paris sauva 1200 Juifs, en leur délivrant des passeports iraniens. Interviewé par la télévision allemande en février 2014, le nouveau ministre des affaires étrangères Javad Zarif avait condamné l’Holocauste sans la moindre ambiguïté.

Religieusement, les Juifs de Terre Sainte et les Chiites d’Iran sont beaucoup moins éloignés qu’on ne le croit. Les deux peuples cultivent une théologie messianique. Ils acceptent sans barguigner les différentes écoles de pensée. De même que le judaïsme connaît des rabbins plus ou moins libéraux, le chiisme multiplie ses différentes écoles d’interprétation. Pour un chiite, le Coran reste un texte plein de mystères, qu’il appartiendra au Mahdi d’éclairer à son retour. Interpréter le Coran est donc naturel en chiisme, alors que c’est interdit en sunnisme. Le grand ayatollah Sistani d’Irak ne cache pas son refus du velayat-e-faqih (gouvernement des clercs) proclamé en Iran par Khomeiny en 1979.
Géopolitiquement, Israël et l’Iran auraient intérêt à renouer une alliance, car ils sont deux atolls différents plongés dans un océan de sunnisme. Les véritables débouchés économiques et culturels de l’Iran sont l’Asie centrale, la Caspienne et le Golfe Persique, pas la Méditerranée.
Culturellement, la bourgeoisie iranienne instruite est imprégnée de références occidentales. Après la société israélienne, la société iranienne est la plus pro-américaine du Moyen-Orient.

L’erreur historique, ce n’est pas Obama qui l’a faite ; c’est Netanyahou qui la poursuit, en refusant de donner aux Palestiniens un Etat viable. Aveugle face à la bombe démographique arabe dans son pays, le premier ministre israélien sape sans le vouloir les chances de survie de l’Etat Juif pensé par Theodor Herzl.

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