La singulière dictature dynastique nord-coréenne vient de faire reparler d’elle, grâce à un assassinat opéré à l’étranger, dont le scénario aurait fait les délices de feu le romancier d’espionnage Gérard de Villiers. Le lundi 13 février 2017, un voyageur coréen au physique passe-partout, faisant la queue à un comptoir de l’aéroport international de Kuala-Lumpur (Malaisie), est soudain abordé par deux jeunes femmes, qui aspergent son visage, pour ensuite disparaître dans la foule. Le voyageur ne prendra jamais le vol qui devait le ramener à Macao. Car immédiatement il se plaint d’irritations au visage, est amené à l’infirmerie de l’aérogare, y est pris de convulsions, et meurt dans l’ambulance qui le conduit à l’hôpital. On découvre plus tard qu’il s’agit de Kim Jong-nam, le demi-frère de l’actuel leader nord-coréen Kim Jong-un. L’autopsie révèle qu’il a été empoisonné au VX, un liquide sans saveur ni odeur mis au point durant la Guerre froide, dont quelques gouttes sur la peau suffisent à vous détruire le système nerveux. La veille, en violation de toutes les résolutions de l’Onu, la Corée du Nord avait procédé à un essai de missile de portée intermédiaire, qui s’était abîmé dans les eaux internationales de la Mer du Japon.
Parvenu au pouvoir suprême à la mort de son père en 2011, Kim Jong-un avait déjà fait assassiner son oncle en 2013, mais c’était au canon de DCA. A la troisième génération, la famille Kim, installée au pouvoir par Staline dès la fin de la seconde guerre mondiale, commence à ressembler aux Atrides. L’Atride Agamemnon lança les cités grecques dans la guerre de Troie – n’hésitant pas à sacrifier sa propre fille au passage -, et périt à son retour, assassiné. Un tel destin attend-il Kim Jong-un, roi tout-puissant d’un Etat de 25 millions de personnes, le plus militarisé du monde et possédant la bombe atomique ? Va-t-il provoquer une guerre en Asie, aux conséquences incalculables, ou saura-t-il s’arrêter à temps ? C’est la question que commencent à se poser les dirigeants du très puissant voisin chinois. A Pékin, il n’y a rien de plus qu’on déteste que l’instabilité et l’incertitude stratégique. Par son caractère colérique et imprévisible, la dictature nord-coréenne commence à énerver sérieusement le président Xi Jinping, qui n’est pas un démocrate, mais qui est un homme réfléchi. Kim Jong-nam, qui avait été rejeté de la lignée du pouvoir nord-coréen au début des années 2000 pour « comportement décalé », était néanmoins résident en Chine et protégé par elle. Au crime, le dictateur nord-coréen a ajouté la faute. On n’insulte jamais impunément la Chine, surtout si on est moins fort qu’elle.
Si la Corée du Nord s’en était tenue à ses deux piliers idéologiques traditionnels – le Juché (la nation ne doit compter que sur ses propres forces) et le Songun (l’impératif militaire l’emporte toujours sur toute autre considération) -, la Chine aurait continué à tolérer ce petit cousin à la même ascendance communiste. Mais voici que cette ubuesque autocratie autarcique se met à se mêler de politique internationale, et à menacer la deuxième grande puissance économique de la région, qui est le Japon. Puissance nucléaire, la Chine n’a aucune envie qu’un prétexte soit donné à Tokyo pour devenir nucléaire à son tour. Pékin a, en outre, constaté que les provocations atomiques et balistiques nord-coréennes avaient entraîné l’installation en Corée du sud du système de missiles antimissiles américain THAAD, capable de détruire en vol des fusées partant de Corée du Nord, mais aussi de Chine.
Les Chinois ne veulent pas d’un deuxième gros problème stratégique à gérer, car ils ont déjà celui de leurs prétentions en Mer de Chine méridionale, où ils ont, au mépris du Droit de la Mer, construit des aérodromes militaires sur des récifs beaucoup plus proches des rivages vietnamiens ou philippins que des leurs. L’administration Trump a fait savoir qu’elle maintiendrait coûte que coûte la liberté de navigation dans ces eaux. Pékin, qui souhaite émonder le plus possible les haies protectionnistes annoncées par le président américain, n’a aucune envie de voir ses futures négociations commerciales avec Washington se dégrader à cause d’une bourde militaire nord-coréenne.
La politique constante de Pékin a été de maintenir la stabilité sur la péninsule coréenne. Les autres puissances régionales (Etats-Unis, Corée du Sud, Japon, Russie) ont longtemps fait confiance à la Chine pour accomplir cette tâche, croyant que le régime de Pyongyang allait progressivement se réformer. Cela n’a pas marché. La Corée du Nord n’est plus un atout pour les Chinois ; elle pèse sur eux comme un fardeau stratégique. Pékin devrait méditer les leçons de la première guerre mondiale : de petits pays mal contrôlés peuvent causer de grands conflits, car une étincelle peut à tout moment mettre le feu au bûcher des malentendus accumulés.