La nouvelle est tombée en plein dimanche, alors qu’on ne s’y attendait pas. Elle est venue sous la forme d’une lettre adressée par le président des États-Unis à ses concitoyens, publiée sur les réseaux sociaux : Joe Biden renonçait à se représenter pour un second mandat et donc à continuer sa campagne électorale contre son rival Donald Trump. C’est un retournement de la campagne électorale. Toutes les cartes sont rebattues.

Trump comptait axer la compétition sur sa vigueur, face à la faiblesse physique de Biden. Le candidat républicain était heureux d’incarner un président réactif et fort – tel que le montrait la séquence de l’attentat lors de son meeting en Pennsylvanie, où il s’était redressé, le visage ensanglanté, en brandissant le poing et en criant « Fight ! » (« battez-vous ! »). Maintenant que Biden a quitté la scène, le vieux, dans la campagne électorale, c’est Trump. Kamala Harris a 18 ans de moins que lui, et ça se voit.

La semaine dernière, beaucoup d’observateurs américains croyaient encore que c’était « plié », que Trump ne pouvait désormais être battu. Il avait enfoncé Biden lors de leur débat sur CNN du 28 juin 2024 et il était, de surcroît, apparu comme l’élu de Dieu après qu’une balle mortelle de 5,56 mm lui eut seulement frôlé l’oreille, le 13 juillet 2024. Le 45e président des États-Unis avait alors un boulevard devant lui pour revenir à la Maison-Blanche. Il lui suffisait de se montrer comme transformé par son expérience quasi christique, de s’afficher comme le leader rassembleur d’une Amérique qui en avait assez des excommunications et de la violence en politique, de proposer un nouveau programme d’unité nationale. Il aurait conquis des millions d’électeurs centristes aujourd’hui indécis, tout en conservant son socle de partisans fanatiques.

Au lieu de cela, il a continué à insulter ses adversaires – traitant par exemple Joe Biden d’« escroc » et Kamala Harris de « folle », dans un meeting du samedi 20 juillet 2024. Il ne s’est pas montré capable d’innover politiquement. Sans le vouloir, Trump a gâché en quelques jours le capital de sympathie que lui avait valu, chez les centristes américains, l’absorption d’un cocktail particulier. Ce drink, que nous qualifierons de « cocktail de Butler », était composé du vermouth d’un réquisitoire démocrate excessif sur le supposé « fascisme » du candidat républicain, mélangé à la vodka de son assassinat raté d’un centimètre.

’abandon de Biden n’est pas une bonne nouvelle pour la campagne républicaine. Mike Johnson, le speaker républicain de la Chambre des représentants, ne s’y est pas trompé, qui a tenté d’obscurcir l’élégance de la lettre de Biden – où le président déclare vouloir se consacrer entièrement à sa tâche de patron de l’exécutif pour les six mois qui viennent -, en demandant la démission immédiate du président des États-Unis. La campagne républicaine a vite compris qu’il lui fallait changer de disque. Sur la platine, elle a déjà glissé la lancinante salsa du « mensonge » de l’establishment démocrate washingtonien – État profond et médias mainstream confondus -, lequel aurait volontairement masqué les réels problèmes de santé du président. Mais ça ne suffira pas pour tenir jusqu’au mardi 5 novembre 2024. Il lui faudra trouver autre chose.

On a beaucoup dit que Kamala n’avait pas les qualités de « campaigner » de Trump. La vérité est qu’on n’en sait rien. Comme vice-présidente, elle est restée extrêmement discrète sur la scène politique américaine. Mais c’est précisément ce que lui avait demandé son patron, Joe Biden. Le président n’avait confié à Kamala qu’une seule mission, et encore était-elle impossible : prendre son bâton de pèlerin pour persuader les chefs d’État et de gouvernement latino-américains de garder chez eux par tous les moyens leurs sujets rêvant d’immigrer aux États-Unis.

Kamala saura-t-elle innover dans sa campagne ? En plus de la raison et du cœur, saura-t-elle saisir les électeurs aux tripes comme le fait si bien Donald Trump ? Si elle se contente de marteler que la démocratie américaine est en danger et que voter pour elle la sauvera, sa campagne échouera.

La candidate démocrate ne part pas sur de mauvaises bases. Son passé de procureur du district de San Francisco puis de procureur générale de Californie – où elle ne fut jamais laxiste – rassurera les Américains du centre et du centre gauche, qui ne veulent pas de progrès sans ordre. Par rapport à Joe Biden, elle réussira à ramener dans le bercail démocrate un certain nombre d’électeurs musulmans qui avaient décidé de s’abstenir pour punir le président de son soutien à Israël. Kamala n’est ni antisioniste, ni antisémite – son mari, l’avocat Douglas Emhoff, est un juif de Brooklyn – mais elle a montré une grande empathie pour la souffrance de Gaza. Last but not least, Kamala Harris jouira du soutien entier de Hollywood. Avoir Taylor Swift de son côté ne sera pas négligeable dans la campagne. La chanteuse, ouvertement anti-Trump, a la bagatelle de 284 millions de followers du Instagram.

Quant à Trump, il jouira du soutien de deux autres stars du rêve américain : J. D. Vance et Elon Musk. Le jeune sénateur de l’Ohio est le contraire d’un fils d’archevêque démocrate ; il a réussi son ascension sociale à la force du poignet ; il est une bête de scène. Il a été choisi pour le poste de vice-président. C’est un isolationniste qui n’a pas peur de le dire : il est aussi indifférent à la question des droits de l’homme dans le monde qu’au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ; il ne se sent pas concerné par la guerre en Ukraine. La deuxième star est Elon Musk, un homme convaincu que l’Amérique doit continuer à dominer technologiquement la planète.

Relancée, la campagne électorale américaine promet d’être aussi disputée, passionnante, indécise jusqu’à la dernière minute qu’un match de rugby France-Angleterre. La seule chose certaine aujourd’hui est que les démocrates, comme les républicains, devront renouveler leurs slogans.

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