Certains esprits chagrins, même outre-Manche, se sont indignés du coût « faramineux » du couronnement du roi Charles III, le samedi 6 mai 2023 à Londres. La dépense, à la charge du gouvernement britannique, tourne autour de 200 millions d’euros. Pour un événement exceptionnel (le dernier remontant à 1953), qui aura été regardé, au moins en partie, par près de 1 milliard de téléspectateurs sur la planète (dont 9 millions en France); qui aura nourri la fierté nationale; qui aura renforcé le prestige de la Couronne britannique dans le monde; qui aura attiré des dizaines de milliers de touristes supplémentaires en Angleterre; le prix n’a rien d’exorbitant. Il est inférieur à une seule journée du « quoi qu’il en coûte » français, dont le coût total fut de 80 milliards (hors prêts garantis aux entreprises). À titre de comparaison, les Jeux olympiques de Tokyo de 2021 ont coûté 12 milliards d’euros, soit 60 fois plus que ce couronnement.
Le paradoxe sur lequel est fondé le régime politique britannique fait sa force. Toute la gloire, tout le faste, tout l’apparat vont au souverain, somptueusement logé à Buckingham Palace, alors que tout le pouvoir réel revient au premier ministre, une petite personne en costume de ville, bourgeoisement logé au 10 Downing Street et qui doit sortir dans la rue pour s’adresser aux journalistes. La magnificence est réservée au roi parce qu’il symbolise l’ancienneté, l’unité et la longévité du peuple britannique. La modestie sied au premier ministre, lequel est faillible puisqu’il prend des décisions tous les jours.
Ce système a le mérite de prévenir toute hubris chez les hommes politiques britanniques. Le cas d’Ankara, où Erdogan s’est fait bâtir un palais présidentiel de mille pièces, ne serait pas envisageable en Angleterre. Le cas de Paris non plus, où n’importe quel sous-ministre s’arroge le droit de faire hurler sa sirène et de brûler les feux rouges.
En réalité, le faste de la célébration monarchique du 6 mai a témoigné de l’incroyable vitalité de la démocratie britannique. L’égalité des chances semble bien réelle au Royaume-Uni, notamment en faveur des sujets issus des territoires de l’ex-empire, sur lequel le soleil ne se couchait jamais. Les quatre premières fonctions régaliennes du royaume (le premier ministre, le maire de Londres, le chef du gouvernement écossais, le ministre de l’Intérieur) sont aujourd’hui exercées par des sujets qui ne sont pas britanniques de souche, qui n’ont aucun sang anglais, ni écossais, ni gallois, ni irlandais.
Il n’y a pas en Grande-Bretagne de séparation de l’Église et de l’État comme en France. Le roi est aussi le chef de l’Église anglicane. Mais, chez les très pragmatiques britanniques, le respect de la tradition n’empêche nullement la flexibilité et l’adaptation. On l’a vu dans la cathédrale de Westminster, où les représentants de toutes les religions furent dûment invités. À la fois, le pays n’a pas honte de son héritage chrétien et il professe sa tolérance aux autres religions, lesquelles structuraient les territoires de l’empire de la reine Victoria.
À différents moments du sacre, nous avons vu les personnalités invitées du Parti travailliste et du Parti conservateur échanger sereinement. Il y a, au Royaume-Uni, une plus grande tolérance aux idées des autres que chez nous. À la différence du Palais Bourbon actuel, l’invective n’a pas lieu d’être à la Chambre des communes, où siègent tous les membres du gouvernement, et où se concentre la réalité du pouvoir politique britannique. Quand ils s’expriment, les députés s’adressent toujours au speaker, lequel veille à la sérénité du débat démocratique. Davantage qu’en France, le principe de l’alternance est profondément ancré dans la culture politique britannique, d’où l’existence d’un shadow cabinet de l’opposition, qui a accès aux informations de l’administration.
Paradoxalement, la voix du peuple est davantage entendue dans la monarchie britannique que dans la république française. La Chambre des communes est toujours saisie des décisions majeures de politique étrangère (oui pour intervenir en Irak en 2003, non pour la Syrie en 2013). En France, il n’y eut, en 2011, aucun débat et aucune approbation parlementaire de la guerre contre la Libye, aux conséquences si catastrophiques pour le Sahel.
À mes yeux, le Parti conservateur britannique fit une erreur stratégique en 2016 en organisant un nouveau référendum sur l’Europe. Mais, une fois qu’il fut adopté par le peuple, le Brexit fut mis en place. En France, les élites refusèrent de tirer les conséquences du référendum de 2005 sur la Constitution européenne.
Si les Britanniques se plaignent aujourd’hui des conséquences du Brexit, ils savent au moins à qui s’en prendre. C’est le grand avantage d’une démocratie ayant conservé toute sa vitalité.